Le 30 avril marquera une rupture. À partir de cette date, plus aucun étranger ne pourra acheter, vendre ou traiter de l’or issu de l’exploitation artisanale au Ghana. Cette mesure radicale intervient dans un contexte où l’économie nationale est fragilisée par l’inflation, la dépréciation du Cedi, et un endettement qui bride la marge de manœuvre budgétaire. Le gouvernement, en lançant le GoldBod, une nouvelle autorité publique centralisant toutes les transactions d’or artisanal, souhaite mettre fin à des décennies de fuite de richesse.
Le Ghana a perdu des milliards de dollars en raison de la contrebande aurifère, selon le gouvernement ghanéen. De l’or extrait illégalement ou vendu hors des circuits fiscaux, souvent à des acheteurs étrangers. À Accra, on estime que plus de 50% de la production artisanale échappe à l’État. La création du GoldBod s’inscrit dans une logique de recentralisation de la richesse : acheter, analyser, certifier, vendre, exporter, tout passera désormais par cette entité unique.
Une politique protectionniste ? Certainement. Mais pour le Ghana, c’est une affaire de survie économique. En 2024, les exportations d’or ont bondi de 53,2%, atteignant 11,64 milliards de dollars, selon la Chambre de mines du pays. Près de 5 milliards proviennent directement des petits exploitants légaux. Une manne énorme que le gouvernement veut désormais canaliser entièrement. Mais au-delà des frontières du pays, cette décision déclenche un effet papillon.
Le marché de l’or est extrêmement sensible à l’offre et à la demande, mais aussi à la perception du risque. En limitant l’accès au marché ghanéen, l’un des principaux producteurs mondiaux d’or artisanal, le Ghana rétrécit l’offre disponible sur les circuits traditionnels. Pour les grandes maisons de négoce à Londres, Dubaï, Mumbai ou Shanghai, cela change la donne. Les traders devront désormais négocier directement avec GoldBod, et dans des conditions fixées par l’État ghanéen, souvent en Cedis et à des taux moins favorables.
Selon les experts, cette décision pourrait créer une tension temporaire sur le marché international, surtout si d’autres pays producteurs d’or artisanal, comme le Mali ou le Burkina Faso, suivent le même chemin. D’autant que le cours de l’or flambe déjà : 3200 dollars l’once, un sommet historique, propulsé par les tensions sino-américaines, la fragilité bancaire et les conflits géopolitiques mondiaux. Le Ghana vient donc appuyer sur une plaie déjà ouverte.
Créée en mars 2024, la Gold Trading Board (GoldBod) est une entité publique sous tutelle du ministère des Terres et des Ressources naturelles. Une enveloppe initiale de 279 millions USD a été mise à disposition pour les premières transactions, selon le ministre ghanéen, Samuel Jinapor. Toutefois, plusieurs voix, notamment la Chambre des négociants en lingots du Ghana, expriment des inquiétudes sur la capacité réelle du GoldBod à absorber l’ensemble de la production.
Le modèle ghanéen peut-il devenir un précédent ?
D’après les experts, à court terme, l’impact sera d’abord ghanéen. Mais à moyen terme, ce virage stratégique pourrait faire des émules. Déjà, au Mali et au Soudan, des voix s’élèvent pour réclamer un encadrement plus strict des ventes d’or artisanal. Le modèle ghanéen, centralisation, monopole étatique, restriction des acteurs étrangers séduit. Il redonne aux États une emprise sur leur sous-sol, souvent bradé aux intérêts privés. Cette logique rappelle l’onde de nationalisations pétrolières des années 1970. À l’époque, des pays comme l’Algérie, le Venezuela ou l’Iran ont repris le contrôle de leurs hydrocarbures pour les mettre au service de leur développement. L’histoire pourrait-elle se répéter avec l’or ?
Au-delà de la question des devises, cette réforme envoie aussi un message politique fort : celui du refus de l’économie de l’ombre. Le galamsey, ce nom donné à l’exploitation illégale de l’or ravage les écosystèmes, empoisonne les rivières, détruit les forêts. Plus de 60% des plans d’eau du pays sont affectés, selon l’Agence ghanéenne de protection de l’environnement. L’expulsion des opérateurs étrangers, notamment chinois, souvent associés à ces pratiques, est aussi un geste symbolique : celui de la reprise de contrôle.
Dans un Ghana où le chômage des jeunes explose, et où le coût de la vie grimpe, l’or doit redevenir un outil de développement, pas de destruction. Le président Mahama, élu sur la promesse de réguler ce chaos aurifère, joue ici sa crédibilité. Et peut-être plus : son pari pourrait devenir un cas d’école africain. Pour les investisseurs internationaux, cette réforme ajoute un facteur d’incertitude supplémentaire. Le Ghana, longtemps considéré comme un terrain d’investissement stable, entre dans une phase de repli stratégique. Pour les acheteurs d’or, il faudra désormais s’adapter aux nouvelles règles du jeu : procédures plus lentes, contraintes monétaires locales, transparence accrue, mais aussi, moins de flexibilité.
Cette complexification de l’accès à l’or ghanéen pourrait, en cas de succès du modèle, raréfier l’offre accessible, tirer les prix vers le haut et inciter d’autres pays à suivre la même voie. Le marché de l’or mondial, historiquement structuré par des dynamiques privées, pourrait connaître une nouvelle ère : celle du retour des États au cœur du jeu.
Vers une nouvelle ère pour les matières premières africaines ?
L’or n’est peut-être que le début. Si ce modèle fonctionne, pourquoi ne pas l’étendre à d’autres ressources : le lithium, le cobalt, la bauxite ? Dans un monde en transition énergétique, l’Afrique possède des minerais critiques convoités. Le Ghana, en nationalisant la chaîne de valeur de l’or artisanal, envoie un signal fort : l’Afrique ne veut plus être une simple plateforme d’extraction, mais une puissance de transformation et de décision.
La balle est dans le camp du GoldBod. De sa capacité à maintenir l’équilibre entre centralisation et efficacité, dépendra non seulement l’avenir du marché aurifère ghanéen, mais peut-être aussi celui du rapport de force entre États africains et marché mondial.