C’est au large de la côte Sud-Ouest de la Namibie, dans le bassin de l’Orange, que s’écrit l’un des chapitres les plus prometteurs de l’histoire économique du pays. Entre 2022 et 2024, plusieurs forages exploratoires réalisés par TotalEnergies, Shell et Galp Energia ont révélé d’importantes réserves pétrolières offshores. Selon le ministère namibien de l’Énergie et des Mines, les réserves actuellement prouvées s’élèvent à plus de 11 milliards de barils équivalents pétrole.
Le puits Venus-1X de TotalEnergies concentre à lui seul 5,1 milliards de barils, tandis que Shell mise sur les blocs Graff-1X et Jonker-1X, respectivement à 2,38 et 2,5 milliards de barils, selon RFI. Galp, de son côté, a annoncé en janvier 2024 que son champ Mopane contiendrait jusqu’à 10 milliards de barils, dont environ 2,5 milliards exploitables dès 2028 (Africa Intelligence, 2024). Ces chiffres font entrer la Namibie dans le cercle fermé des puissances pétrolières du continent, derrière le Nigeria, l’Angola, l’Algérie et la Libye.
Une projection ambitieuse : 500 000 barils/jour d’ici 2035
L’enjeu économique est colossal. D’après les projections du ministère des Finances, la Namibie pourrait générer des revenus pétroliers annuels de 5 à 7 milliards de dollars d’ici 2040, soit près de la moitié de son PIB actuel, estimé à 12,6 milliards de dollars en 2023, en la Banque mondiale, 2023. Le pays ambitionne d’atteindre une production quotidienne de 500 000 barils par jour d’ici 2035, ce qui le placerait au 5ᵉ rang africain en termes de production. Un objectif crédible, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui observe un intérêt croissant des investisseurs internationaux pour cette région stable politiquement et faiblement peuplée (2,7 millions d’habitants).
Les majors avancent à pas comptés
Malgré l’enthousiasme ambiant, les majors pétroliers restent prudents. TotalEnergies prévoit une décision finale d’investissement (FID) sur le projet Venus-1X pour 2026, avec une entrée en production envisagée pour 2030, à une cadence initiale de 150 000 barils/jour, soit bien en dessous des chiffres optimistes du gouvernement.
Shell et Chevron, de leur côté, ont récemment revu à la baisse les perspectives de rentabilité de certains puits explorés. Selon des rapports internes cités par Africa Oil & Gas Report, la présence de gaz associés, les coûts logistiques offshores et les infrastructures à construire ralentissent les prises de décisions.
La Namibie semble consciente des risques. Les experts parlent souvent de la « malédiction des ressources », une situation dans laquelle des pays riches en pétrole voient leur croissance entravée par la corruption, les conflits ou la mauvaise gouvernance. Le Nigeria en est l’exemple le plus emblématique : malgré 60 ans de production, plus de 40% de sa population vit sous le seuil de pauvreté, selon le PNUD, 2022.
L’Angola a connu une croissance rapide grâce au pétrole, atteignant un pic de 8% de croissance annuelle entre 2005 et 2013, mais n’a pas su redistribuer équitablement la rente pétrolière. À l’inverse, la Namibie envisage déjà des mécanismes de gouvernance inspirés du modèle norvégien. Un fonds souverain devrait être mis en place, d’ici 2026, pour capitaliser les revenus pétroliers et financer les projets sociaux, de santé, d’éducation et d’infrastructures.
« Nous voulons que chaque Namibien bénéficie de cette richesse, pas seulement les élites », a déclaré Tom Alweendo, ancien ministre de l’Énergie, lors d’un forum énergétique à Windhoek en septembre 2024.
Leçons du Guyana et rôle croissant de l’État
Le Guyana, petit pays d’Amérique du Sud, constitue un modèle plus récent. Grâce à ExxonMobil, il est devenu en moins de cinq ans, un producteur de plus de 400 000 barils/jour. Il a mis en place un Natural Resource Fund, contrôlé par le Parlement, et négocié un partage équilibré des revenus avec les compagnies étrangères.
La Namibie s’en inspire déjà. Un contenu local minimum a été imposé par le gouvernement dans les contrats pétroliers (emplois, sous-traitance locale, formations techniques). En 2024, une école de formation en ingénierie pétrolière a été ouverte à Walvis Bay, avec le soutien de TotalEnergies et de l’Université de Namibie.
Ce boom énergétique survient à l’heure où la transition vers les énergies renouvelables s’accélère. La Namibie, qui s’est engagée à réduire de 91 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, devra équilibrer ses ambitions fossiles avec les contraintes climatiques (Accord de Paris, NDC 2021).
Certains experts, comme ceux de Novethic, estiment que ce nouveau modèle extractif doit impérativement s’accompagner d’un plan de diversification économique. L’agriculture, le tourisme et l’hydrogène vert (déjà en développement), pourraient compenser une future baisse de la demande pétrolière mondiale.
L’avènement pétrolier de la Namibie constitue sans doute la transformation économique la plus importante du pays depuis son indépendance en 1990.