Investi, le 20 janvier 2025 pour un second mandat à la tête des États-Unis d’Amérique, le président Donald Trump a placé ce deuxième mandat sous le signe de la rationalisation des dépenses fédérales. Pour implémenter cette nouvelle dynamique, il a nommé le milliardaire, Elon Musk à la tête du très stratégique Département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE), nouvellement créé à cette fin.
C’est dans le cadre de ces réformes budgétaires que l’USAID, l’un des principaux mécanismes de pourvoi d’aide aux pays sous-développés, a été gelé, peu après la prestation de serment du nouveau président. Résolu à aller jusqu’au bout de sa démarche, le locataire de la Maison Blanche a ordonné, le 24 avril 2025, la fermeture d’une autre agence fédérale tout aussi stratégique dans le déploiement de la diplomatie d’influence américaine. Il s’agit de la Millenium Challenge Corporation (MCC), une agence fédérale créée en 2004 sous l’administration George W. Bush.
Déjà 17 milliards USD d’aide au profit des pays en développement
Elon Musk a donc décidé de la fermeture prochaine de cette agence considérée comme budgétivore, alors que son pays, les États-Unis, connait une situation économique pas des plus saines, en raison notamment de la forte concurrence chinoise. La fermeture de la MCC va permettre au pays de l’oncle Sam d’économiser plusieurs milliards de dollars destinés à l’aide aux pays en développement en Afrique et, dans une moindre mesure en Asie.
Entre sa création, en 2004, et sa fermeture en 2025, la MCC a dépensé plus de 17 milliards de dollars sous la forme de subventions pour financer les infrastructures de développement et la croissance en Afrique, en l’occurrence dans des secteurs stratégiques (eau et électricité, agriculture et éducation).
L’Afrique absorbe la plus importante partie de l’aide de la Millenium Challenge Corporation (MCC). Les Africains sont de plus en plus ouverts au business, ils ont besoin de capitaux pour réaliser leurs activités,
déclarait, en septembre 2013, le président de cette agence fédérale, Daniel Yohanness, cité par Jeune Afrique.
La même année, la plupart des pays bénéficiaires affichaient des taux de croissance annuels oscillant entre 5% et 10%, souligne le magazine économique. Sur la totalité du budget octroyé à l’agence fédérale américaine, à raison de 1 milliard de dollars par an, l’Afrique s’est taillée la part du lion. Le continent s’est vu octroyer 70% de ce montant.
Des projets suspendus dans 20 pays africains
Le Sénégal en est l’un des principaux bénéficiaires au niveau de l’Afrique subsaharienne. Le 03 avril 2025, tout juste trois semaines avant la décision de fermeture de la MCC, l’agence fédérale avait lancé un avis de passation de marchés pour des sites de stockage de la Société nationale d’électricité du Sénégal, dans le cadre d’un programme d’une valeur de 500 millions de dollars. Entre 2018 et 2025, le pays de la Téranga a conclu avec la MCC, un programme d’aide pour une valeur de 600 millions USD.
Ce montant devait servir notamment à réformer le secteur énergétique et améliorer l’accès à l’électricité. Entre 2010 et 2015, le Sénégal avait déjà bénéficié d’une autre enveloppe de 540 millions USD destinée aux infrastructures rurales, et à l’électrification des zones isolées. Les subventions de la MCC ont également permis de moderniser les exploitations agricoles via l’irrigation.
A l’époque, le Burkina Faso avait obtenu près de 500 millions de dollars pour assurer la sécurité foncière et la gestion des terres, désenclaver les zones rurales, améliorer la productivité et moderniser les marchés agricoles. Le Bénin, pour sa part, a affecté son pactole à la modernisation du port de Cotonou, tandis que le Kenya et l’Ouganda s’en sont servi pour réformer les systèmes des marchés publics afin de réduire la corruption.
Le Ghana et la Tanzanie, eux, ont rénové et développé leur réseau routier grâce aux subventions de la MCC. Quid du Maroc ? Le royaume chérifien a affecté les sommes reçues au soutien des Pme-Pmi et à la création des richesses. Le Lesotho a réhabilité ses infrastructures de santé et accru la disponibilité des ressources en eau destinées aux industriels et aux ménages. Au Rwanda, la réforme du système judiciaire, la promotion des libertés et le renforcement de la société civile sont tributaires de ces ressources allouées par la MCC.
Autant de réformes qui visent à améliorer la gouvernance des pays, pour leur permettre d’attirer les investisseurs et concurrencer les autres nations sur le marché mondial. Nous investissons aussi beaucoup dans les projets énergétiques qui permettent de développer les activités industrielles et donc, aussi, d’attirer les investisseurs,
se félicitait Daniel Yohanness, il y a 12 ans.
Une vingtaine de projets en cours d’exécution ou de planification
Les autres principaux bénéficiaires sont la Mauritanie ; la Côte d’Ivoire ; le Togo ; la Zambie ; le Mozambique, ou encore le Malawi. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, par exemple, la fermeture intervient alors que le pays a lancé les travaux d’un échangeur au grand carrefour Koumassi, sur un financement du MCC. Si Elon Musk a concédé des dérogations pour permettre au Sénégal de sécuriser les chantiers en cours, ceux-ci, autant que l’échangeur de Koumassi, à Abidjan, pourraient connaître une suspension.
Au total, ce sont une vingtaine de projets en cours d’exécution ou de planification qui devraient prendre un coup d’arrêt, prenant ainsi de court les dirigeants des pays bénéficiaires de l’aide financière américaine nécessaire pour réaliser ces infrastructures. Ces projets sont désormais en mode pause.
La fermeture de la MCC vient s’ajouter au gel pour une période de 90 jours, suivi de la fermeture de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Le président Donald Trump motive ses décrets à la pelle par le fait que ces aides étrangères américaines n’impactent pas directement la vie du citoyen américain. Mais, au contraire, contribuent à aggraver l’instabilité dans le monde. Pour le locataire du « Bureau ovale », une évaluation de ces instruments s’impose pour s’assurer qu’ils contribuent à rendre l’Amérique plus forte.
Paradoxalement, le site de l’agence fédérale américaine nous apprend que « Le MCC contribue à la sécurité, la force et la prospérité du peuple américain grâce à des investissements qui favorisent la croissance et la stabilité dans le monde entier. »
En 2023, l’aide étrangère américaine, octroyée dans le cadre de l’USAID, était évaluée à 68 milliards USD répartis entre 204 pays de la planète, dont l’Ukraine (17 milliards USD) ; Israël (3,3 milliards) ; la Jordanie (1,7 milliard) et l’Egypte (1,5 milliard USD). Le reste était alloué pour les programmes de développement économique (20 milliards USD) ; l’assistance humanitaire (14,4 milliards) ; les initiatives de santé (9,8 milliards USD) et de soutien à la démocratie (2,6 milliards USD).
L’urgence de repenser le financement du développement de l’Afrique
La part de l’Afrique subsaharienne, à elle seule, s’élève à 12,1 milliards de dollars, rien que pour l’année 2023. Un montant alloué « dans le but d’améliorer les soins de santé, d’apporter une aide alimentaire et de renforcer la sécurité », à en croire le chroniqueur zimbabwéen, Tafi Mhaka sur le site d’Al-Jazeera.
Selon le Kenyan Ken Opalo, professeur à l’Université de Georgetown, à Washington, l’aide humanitaire « a permis d’améliorer les conditions de vie de la population à grande échelle et dans le monde entier. Des maladies qui tuaient des centaines de milliers d’enfants par an ont été éradiquées ou contenues, et des millions de personnes ont été sauvées, et ont pu retrouver une espérance de vie normale grâce à des initiatives comme le Plan présidentiel d’urgence pour la lutte contre le Sida (Pepfor) ».
La suspension de l’aide étrangère américaine et la fermeture des agences fédérales suggèrent l’urgence pour l’Afrique de repenser les mécanismes de financement de son développement, et de mettre en place des stratégies plus autonomes et indépendantes.