Le marché brassicole africain est devenu à la fois l’un des plus dynamiques et l’un des plus concentrés au monde. Si, au niveau mondial, 40 industries brassicoles se partagent 90 % de la production de bière, un oligopole de quatre brasseurs européens se partage 90 % du marché de la bière en Afrique : le Belge AB Inbev, le Français Castel, le Néerlandais Heineken et le Britannique Diageo.
Ces quatre multinationales européennes dominent un marché estimé à 13 milliards de dollars en 2018, et qui offre des perspectives de croissance bien plus élevées qu’ailleurs : le volume de bière vendu en Afrique croît de 5 % par an, contre 3 % en Asie et 1 % en Europe et en Amérique du Nord. La ruée des géants mondiaux de la bière vers l’Afrique s’explique par les belles perspectives d’augmentation des capacités de production de l’industrie que le continent offre en raison de la croissance économique, du boom démographique fulgurant, de l’émergence d’une classe moyenne et de l’urbanisation rapide.
Ainsi, d’après l’entreprise d’études de marché Canadean, le volume de bière vendu en Afrique devrait croître de 5% par an en moyenne entre 2015 et 2020. Ce niveau de progression est légèrement au-dessus de celui de l’Asie (3%) qui a porté le marché durant cette dernière décennie et reste bien très loin de la croissance de 1% escomptée en Europe occidentale ou en Amérique du Nord. Pour sa part, la Deutsche Bank dans un rapport datant de 2015, indique que le continent africain représentera 37% du volume mondial de la bière et comptera 42% de la croissance du bénéfice des entreprises brassicoles mondiales d’ici 2025.
D’ici 2025, l’Afrique pourrait représenter 37 % du volume mondial de bière. Cette croissance s’explique notamment par une donnée démographique : si plus d’un cinquième de la population du « vieux continent », l’Europe, est âgée de 65 ans et plus, l’Afrique a la population la plus jeune au monde, avec plus de 400 millions de personnes âgées de 15 à 35 ans. Mais surtout, du fait de leur souveraine domination du marché, les multinationales engrangent des profits bien plus élevés que sur tout autre continent :
Grâce à l’extrême concentration du marché, les monopoles peuvent imposer des prix élevés sur les bières : une bouteille de bière est dans beaucoup de pays africains à peine moins chère, voire plus chère qu’en Europe, alors que les coûts de production y sont bien inférieurs,
selon l’étude de marché Canadean.
De fait, la bière rapporte en Afrique près de 50 % de plus qu’ailleurs, et certains marchés, comme le Nigeria, sont parmi les plus lucratifs au monde. Résultat : le marché brassicole européen est moitié moins profitable que son homologue africain, et on estime que 42 % de la croissance du bénéfice des entreprises brassicoles mondiales auront lieu en Afrique d’ici 2025.
L’Afrique du Sud, le plus gros consommateur
Chaque année, un Africain boit en moyenne 9 litres de bière, contre 44 litres en moyenne dans le monde et 55 en Europe (30 en France, 68 en Angleterre, 74 litres en Belgique, 106 litres en Allemagne). La consommation en Afrique varie selon les pays: 5 litres par habitant en Éthiopie, 12 litres au Kenya, 36 au Cameroun voire 60 en Angola et en Afrique du Sud. Ce dernier pays représente le principal marché africain de la bière avec plus de 30 millions d’hectolitres par an. Le Nigeria arrive juste derrière. Puis viennent le Cameroun, la RDC, le Mozambique, la Tanzanie ou le Kenya…
Un secteur porteur
Si les bières industrielles produites en Afrique sont surtout des pils et quelques stouts, la production commence à évoluer. Plusieurs gouvernements ont établi des régimes fiscaux spéciaux pour favoriser le développement des cultures, stimuler leurs utilisations dans la production de bière, et ainsi développer l’économie locale,
précise BtoBeer.
Conséquences :
Les industriels s’intéressent aux ingrédients des bières traditionnelles et commencent à produire à large échelle des bières classiques à base de sorgho, d’igname ou de manioc qui coûtent moins cher. (…) Les importations d’orge ont ainsi été réduites de 40%.
Avec un marché estimé aujourd’hui à 13 milliards de dollars,
l’avenir de l’industrie mondiale de la bière se joue désormais en Afrique,
précise Ecofin Hebdo
S’il reste dominé par les quatre grands acteurs du secteur, le marché « reste largement ouvert à la concurrence ».
Afrique et la bière : une relation historique
Si c’est en Afrique qu’est née la recette de la bière, c’est dans l’Europe du XIXe siècle que s’est développée sa production industrielle. La première bière européenne à toucher les côtes africaines fut la Guinness, expédiée en 1827 en Sierra Leone. Dès le départ, ces exportations furent marquées du sceau du colonialisme. Seule l’élite coloniale était autorisée à boire les boissons alcoolisées. En Afrique orientale britannique, les Africains durent attendre le milieu du XXe siècle pour être autorisés à boire de la bière d’importation. Ces interdictions furent levées dans la seconde moitié du XXe siècle.
Alors que le marché brassicole européen arrivait à saturation, les industriels, à la recherche de nouveaux débouchés, partirent à l’assaut du continent africain. Heineken, qui dès 1930 possédait des brasseries au Maroc et en Égypte, s’implanta par la suite au Nigeria, au Ghana, en Sierra Leone, au Tchad, au Congo français et en Angola. Le Belge Interbrew, présent en République Démocratique du Congo (RDC) depuis 1925, s’installa après la Seconde Guerre mondiale au Sénégal et en Centrafrique. Une brasserie Guinness vit le jour au Nigeria en 1962, tandis que d’autres suivirent au Ghana et au Cameroun. Castel s’établit au Gabon en 1967, avant de se tourner vers la RDC, la Centrafrique et le Mali.
Au cours des années 80 et 90, les « politiques d’ajustements structurels » dictées par l’OMC et le FMI imposèrent une vague de privatisations sans précédent sur le continent : c’en était fini des projets de production de bières africaines. L’ouverture forcée des marchés permit à Castel de racheter des brasseries locales ou nationales au Bénin, en Algérie, au Maroc, en Guinée, à Madagascar, en RDC et ailleurs. En 2000, le britannique Diageo renforça durablement sa présence en Afrique de l’Est à travers l’acquisition du groupe East African Brexeries LT, alors premier brasseur de la région.
Dès 2005, Heineken put s’établir pour la première fois en Algérie, en Tunisie, en Éthiopie et en Côte d’Ivoire. Devenu AB Inbev, Interbrew étendit son empire en acquérant en 2016, pour 110 milliards de dollars, les 40 marques et les 28 brasseries du sud-africain SAB Miller. Numéro deux mondial du marché brassicole à l’époque de l’opération, ce dernier contrôlait 90 % du marché sud-africain et était présent en Tanzanie, au Mozambique, en Ouganda et au Nigeria. Il s’agissait de la troisième fusion-acquisition la plus importante jamais réalisée, tous secteurs confondus.