Depuis bientôt dix mois, MTN Cameroun et le groupe Bestinver se livrent une bataille judiciaire par avocats interposés. Ce feuilleton judiciaire fait suite à la saisie des comptes bancaires de la filiale camerounaise du groupe sud-africain MTN International.
Le montant saisi est de 259 milliards de F CFA. La saisie a été opérée en septembre 2022 en exécution d’une panoplie d’ordonnances rendues par le Tribunal de première instance (TPI) de Douala-Bonanjo, la circonscription judiciaire dont relève la filiale de l’opérateur sud-africain du marché de la téléphonie mobile.
Le 31 août dernier, les conseils de Bestinver, une entité détenue majoritairement par l’opérateur économique camerounais Ahmadou Baba Danpullo, avaient introduit une requête auprès du Tpi de Douala-Bonanjo afin que cette juridiction dise le droit sur un contentieux opposant Bestinver à son banquier sud-africain.
Le Groupe Bestinver, qui est composé de quatre sociétés, demandait alors au Tribunal de céans de l’aider à récupérer ses biens immobiliers évalués à 259 milliards de francs CFA en procédant à la saisie des ressources d’une valeur équivalente auprès des sociétés sud-africaines basées au Cameroun.
MTN Cameroun étant une société camerounaise à capitaux sud-africains (bien que l’acte constitutif ait été signé au Tribunal de céans dans la capitale du Cameroun), le Président du TPI de Douala-Bonanjo a accédé à la requête de Bestinver en saisissant le montant sus-indiqué dans les comptes de MTN Cameroun. Une décision que l’opérateur privé de téléphonie mobile a d’ores et déjà contestée.
MTN Cameroun conteste fermement la saisie de ses comptes bancaires qu’elle considère comme abusive, frauduleuse et inacceptable étant donné que MTN Cameroun n’a aucune relation avec Bestinver et son banquier sud-africain,
ont écrit les conseils de l’entreprise dans leur requête.
Les juristes de la société estiment que leurs confrères de l’accusation ont opéré un « braquage » en évoquant un « lien fictif » entre leur société et la Banque sud-africaine ayant accordé à Bestinver le prêt qui a engendré le conflit ayant pour épilogue la saisie des biens immobiliers de l’entité de droit camerounais.
Les conseils de MTN Cameroun vont jusqu’à se référer à la loi Ohada qui préconise en cas de conflit de cette nature, la saisie des comptes de l’actionnaire et non de toute l’entité. Car en face, Bestinver avance en guise d’argumentaire, le fait que l’entité sud-africaine Public Investment Corporation (PLC) possède des actions aussi bien à la banque ayant opéré la saisie de ses biens immobiliers qu’à MTN Cameroun et à Chococam, une autre société à capitaux majoritairement sud-africains, basée à Douala.
Plus de 1000 milliards investis en 20 ans au Cameroun
En mai 2021, le Cameroun commémorait le 20ème anniversaire de la privatisation du secteur de la téléphonie mobile, le 15 février 2000, suite à l’acquisition par le Groupe MTN International de Camtel Mobile, le segment mobile de l’opérateur national d’alors.
L’on apprenait pour l’occasion, par la ministre des Postes et Télécommunications, Minette Likeng Li Libom, que MTN Cameroun et Orange Cameroun, les deux opérateurs de la filière de ce moment-là, avaient totalisé un chiffre d’affaires de 500,3 milliards de F CFA. Une nette progression comparée à 2017, où les trois opérateurs de l’époque, Nexttel inclus, réalisaient 487,7 milliards d’après l’Agence de régulation des télécommunications.
La filiale camerounaise de MTN International a réalisé son plus grand profit en 2020 à la faveur de l’explosion des effectifs des utilisateurs d’internet dans le contexte de la pandémie du Covid-19, qui a favorisé le télétravail. La maison mère annonçait depuis Johannesburg que sa filiale avait réalisé 1,73 milliard de rands soit 59,9 milliards de F CFA rien qu’au premier semestre 2020.
En vingt ans, MTN Cameroun a versé la somme de 1270 milliards de francs CFA à l’Etat du Cameroun en termes de contribution aux impôts, aux droits de douane et aux redevances diverses. Les intervenants dévoilaient ces chiffres faramineux sans donner de détail chiffré sur les bénéfices nets réalisés par l’opérateur au cours de la même période.
Cependant, calcul fait, cela revenait à une moyenne de 50 milliards F CFA investis chaque année par l’opérateur sud-africain via sa filiale camerounaise. L’opérateur de téléphonie mobile déclarait en outre avoir investi sur les dix régions du pays le même montant, c’est-à-dire 1000 milliards afin d’offrir aux Camerounais des services « innovants, accessibles et fiables ».
Les investissements ont permis notamment « le développement et l’entretien de ses infrastructures de classe mondiale sur les dix régions du pays ». Il s’agit de l’internet haut débit et de la fibre optique sous-marine WACS, que l’opérateur a rétrocédée par la suite à l’Etat pour des raisons de souveraineté nationale, après avoir investi 300 milliards de F CFA entre 2015 et 2018 pour la mutation de son réseau, à en croire son directeur général, Hendrik Kasteel, lors d’une déclaration faite le 31 janvier 2019.
Beaucoup d’opportunités à capter
Dans son bilan, MTN Cameroun ne manque pas d’évoquer les quelque 200 000 familles qui tirent leurs revenus quotidiens des emplois indirects pourvus par l’opérateur. Ou encore les actions d’éclat réalisées par la fondation éponyme, qui est le bras social de l’opérateur de téléphonie mobile.
L’on apprend que 1% de ses revenus annuels, tous paiements d’impôts déjà effectués, est consacré aux œuvres sociales, notamment la santé, l’éducation et le développement communautaire au profit de 285 localités.
Pourtant, en 2018, l’opérateur a perdu son prestigieux rang de leader du secteur de la téléphonie mobile au Cameroun après avoir désabonné quelque 4 millions de personnes non identifiées dans le respect des textes en vigueur, passant ainsi de 10 millions d’abonnés à 6,6 millions. Cette dégringolade a eu pour conséquence la succession de deux directeurs généraux (Saim Yaksan et Hendrik Kasteel) à la tête de la filiale camerounaise dans l’intervalle de sept mois.
Si les bilans présentés plus haut semblent flatteurs, ils peuvent être l’arbre qui cache la forêt. Il y a quelques mois, à titre d’illustration, la filiale camerounaise du Groupe sud-africain, tout comme ses concurrents Orange Cameroun, Camtel, se sont engagés devant le gouvernement camerounais (représenté par le ministère de tutelle et l’ART) d’investir 156 milliards FCfa au Cameroun cette année. Cette décision aux allures de sommation est intervenue après que des manquements aient été constatés vis-à-vis des consommateurs. Toute choses qui ont valu à ces opérateurs des mises en demeure de la part de l’Etat.
La filiale mère, elle, poursuit sa conquête de l’espace continental, où les opportunités ne sont pas toutes explorées dans le secteur de la téléphonie mobile. Au Soudan du Sud, par exemple, le Groupe a obtenu du président Salva Kiir Mayardit l’autorisation d’investir dans les infrastructures et les services numériques, en l’occurrence le développement du paiement électronique.
Le montant des investissements annoncé est évalué à 120 millions de dollars sur trois ans à compter de l’année dernière. Au Ghana, le Groupe annonce l’imminence de la 5G grâce à de nouveaux investissements.
Au final, les pays qui tirent la croissance du Groupe MTN International sur le continent sont classés dans l’ordre suivant : Ghana (28,6%), Nigéria (21,7%), Ouganda (11%), Cameroun (8, 11%) et Afrique du Sud 3,9%).