En septembre 2020, l’Union européenne (UE) avait publié la liste des matières premières dites « critiques » pour l’ensemble des pays membres de cette institution chargée de l’intégration de l’espace économique du vieux continent.
Aux 26 matières premières retenues dans la précédente liste publiée en 2017, s’ajoutaient quatre autres dont l’enjeu économique n’est plus à démontrer. Il s’agit du lithium, du titane, du strontium et de la bauxite.
Les matières premières classiques, à l’instar de l’or, du diamant, de la bauxite et du cuivre, figurent dans cette liste critique. L’institution européenne les classe même selon le niveau de risque en matière de sécurisation des approvisionnements.
Ainsi, les cinq minerais reconnus comme ayant un niveau de criticité élevé, dans cette hiérarchisation, sont le magnésium, le niobium, le germanium, les borates et le scandium. Le strontium, le cobalt, le graphite naturel sont des produits du sous-sol ayant un niveau de criticité moyen ou modéré.
Tandis que le manganèse, le chrome, le zirconium, le tellure, le nickel et le cuivre sont rétrogradés au classement des produits de très basse importance. Du moins si l’on en croit le rapport de l’organisation de l’espace Schengen.
Enfin, huit autres produits du sous-sol, dont les métaux de silicone, le lithium, l’indium et le vanadium sont classés comme ayant un faible risque d’approvisionnement.
La publication datée du 03 septembre 2020, est une tradition qu’honore la Commission de l’Union européenne depuis 2011, et le prochain rapport devrait être publié dans quelques mois, sinon l’année prochaine.
La ruée des pays industrialisés vers les ressources du continent
L’instance fédérative du vieux Continent explique que ces matières premières sont indispensables pour la croissance économique de cette partie du monde industrialisé.
Les matières premières critiques sont cruciales pour l’économie européenne. Elles forment une base industrielle solide, produisant une large gamme de biens et d’applications utilisés dans la vie quotidienne et la technologie moderne. Un accès fiable et sans entrave à certaines matières premières est une préoccupation croissante au sein de l’UE et dans le monde entier,
lit-on dans le document de classement de l’Union européenne. D’ailleurs, plusieurs autres puissances industrielles de la planète ont besoin des matières premières de l’Afrique pour réaliser les challenges du futur. Entre autres la production des énergies renouvelables.
C’est ce qui justifie la ruée des puissances du Nord vers les minerais et les métaux précieux dont regorge le berceau de l’humanité. Certaines technologies du futur en sont largement tributaires. À l’instar de l’impression 3D chère aux astronautes devant établir à l’avenir des bases sur la lune ou sur mars. On en aura besoin aussi dans le domaine de l’intelligence artificielle (la robotique, les drones), de l’industrie automobile (batteries électriques rechargeables), et de l’éolien. La bauxite est utilisée dans l’industrie de la métallurgie, de la fabrication du ciment, des abrasifs, produits chimiques réfractaires.
Le nickel est un minerai à multiples usages : outre l’acier inoxydable austénitique (65% de la production mondiale en 2018 est consacrée à cet usage), les super alliages à base de ce métal blanc dense argenté (12%) sont utiles dans l’industrie aérospatiale et servent à la fabrication des aubes de turbine, disques et autres pièces des moteurs à réaction, ainsi que des turbines à combustion utilisés dans les centrales électriques. Les 23% restants concernent les claviers alliés (7%), les produits de fonderie (3%) et plusieurs autres applications : piles rechargeables, catalyseurs, pièces de monnaie, placage, aimants, écrans magnétiques, etc.
Le sous-sol africain contient 40% de réserves mondiales d’or et 30% des gisements de minerais
Le sous-sol africain héberge 40% de réserves mondiales d’or, 30% de réserves de minerais et 10% de réserves de pétrole.
En 2020, l’or représentait le premier produit d’exportation pour 16 Etats africains, soit 30% de pays du continent. L’Afrique subsaharienne possède en outre 23 % des réserves mondiales d’uranium, 28 % du diamant, 4 % des réserves de pétrole et 3 % des réserves mondiales de gaz. 56 % des réserves du cobalt proviennent de la RDC.
85% des réserves d’uranium du continent se trouvent dans la partie sud du continent. Le Niger en regorge 29 %, tandis que le Botswana, la Namibie et l’Afrique du Sud se partagent 65 % de réserves. Les pays du golfe de Guinée (Congo, Gabon, Angola, Nigéria, RDC) possèdent 85% des réserves de pétrole de l’Afrique subsaharienne soit 55 milliards de barils. Le Nigeria et l’Angola concentrent respectivement 58 % et 18 % des réserves de pétrole du sous-continent.
Classé 7e producteur mondial d’or en 2017, le Ghana est par ailleurs leader en Afrique avec 137 000 kg (soit 237 tonnes) contre 92 380 kg en 2010 et 78 399 kg au début du siècle courant. Il est suivi par l’Afrique du Sud. En 2014, le pays de Nelson Mandela était 1er producteur du continent et 6e mondial, avec 152 tonnes, alors que l’ex-Gold-Coast (le Ghana), était 8e mondial, totalisant 136 tonnes. Le sous-sol malien en est également pourvu.

Outre le secteur de l’orfèvrerie (fabrication de bijoux), qui absorbe 50% de la production mondiale d’or, les 10% de la production de ce métal précieux sont utilisés dans l’industrie électronique (connecteurs électriques anticorrosion pour ordinateurs, vaisseaux spatiaux, moteurs d’avions et matériels de communication).
Cette matière intervient également dans le blindage infrarouge, la production de verre coloré et la restauration dentaire, entre autres applications. Les 40% restants sont placés dans les coffres-forts des trésors publics ou des banques centrales sous la forme de réserves de change.
À l’échelle du continent, 17 pays sont producteurs de diamants. Le peloton de tête est constitué par le Botswana (2e mondial après la Russie, avec une production estimée à 22 900 000 carats en 2017), la RDC (5e mondial), l’Afrique du Sud, l’Angola et le Zimbabwe, respectivement 6e, 7e et 8e mondiaux. Si ce métal sert plus aux ornements et décorations, l’argent, en plus de ces fonctions, est utile dans l’industrie des panneaux solaires.
Le Maroc est leader continental de la production de ce métal. Le royaume chérifien a déclaré 239,416 tonnes d’argent en 2017 contre 277 tonnes trois ans plus tôt. Classé 17e mondial, il devance l’Afrique du Sud, 22e, la Tanzanie (43e), ou encore la Namibie (47e). La liste des pays africains producteurs d’argent n’est pas exhaustive.
Quid de la bauxite ? Le sous-sol africain regorge à lui seul de 32% des 75 milliards de tonnes de ressources mondiales. La Guinée est en tête des pays producteurs de ce minerai. Avec ses 47 009 000 de tonnes en 2017, elle occupe le 3e place mondiale. La Sierra Leone et le Ghana en produisent également.
Deux pays concentrent les réserves de nickel. Il s’agit, d’une part, de l’Afrique du Sud, classé 11e mondial en 2017, avec 48 383 tonnes (soit une décadence comparée à 2014, où le pays était 10e mondial avec 55 000 tonnes).
D’autre part, Madagascar, 13e en 2017 avec 35 474 tonnes, en décadence aussi par rapport à 2014 où l’ile de l’océan indien arrivait au 12e rang mondial, avec 37 000 tonnes. En 2010, la production du pays était nulle. Le Zimbabwe (19e), la Zambie, la Côte d’Ivoire, le Maroc et le Botswana complètent le tableau, mais leur production demeure faible.
Enfin, concernant l’étain, trois pays africains sont listés parmi les plus grands producteurs de cette ressource minière. Le Rwanda et la RDC totalisent chacune environ 4000 tonnes, et le Nigéria un millier de tonnes en 2014.
Ces données sont fournies par le World Minerals Statistics, la Natural Environment Research Council, et le British Geological Survey. Les chiffres de 2014 découlent du croisement des données de la Banque mondiale, du FMI et du FAO par l’expert Mays Mouissi.
La « malédiction » de l’or noir
Le Nigéria est réputé être un géant pétrolier dans le golfe de Guinée. En 2014, ce pays caracolait toujours à la tête du classement des pays producteurs de pétrole à l’échelle du continent, avec une production journalière estimée à 2,4 millions de barils.
L’inauguration récente d’une méga raffinerie construite à hauteur de 19 milliards de dollars par le milliardaire Aliko Dangote devrait accroître la capacité du Nigeria et consolider sa place de leader dans le secteur pétrolier. Le pivot économique ouest africain est suivi par l’Angola, qui produit 1,7 million de barils par jour.
Bien qu’elle se maintienne à la troisième place, la Lybie a vu sa production décroître ces dernières années, passant de 810 000 barils par jour à 527 000 barils. La faute à ces interminables guerres qui minent le pays depuis l’assassinat de son président Mohammed Khadafi en 2011.
S’agissant du gaz naturel, l’Algérie demeure le leader sur le continent. Avec ses 82 milliards de mètres cubes produits et injectés sur le marché en 2014, le pays est classé 9e mondial. Le déclenchement du contexte conflictuel en Ukraine, en février 2022, et l’accroissement de la demande en gaz dans les pays occidentaux notamment, du fait de l’embargo imposé par ces derniers sur le gaz russe, a permis à l’Algérie de faire de bonnes affaires.
L’Égypte, un autre pays maghrébin, suit, avec 49 milliards de m³ de gaz. Il est classé au 18e rang mondial. Le Nigeria occupe la 3e place africaine et le 222e rang mondial avec 39 milliards de m³.
En 50 ans, l’Afrique perd plus de 1000 milliards de dollars soit environ 50 milliards de dollars par an
Mais, qu’il s’agisse des métaux précieux ou des hydrocarbures, les chiffres évoqués plus haut ne reflètent pas la réalité du potentiel du continent. Leurs quantités sont généralement sous-évaluées, autant que les taxes dues aux Etats hébergeant ces minerais.
Ceci avec la complicité des gouvernements de pays où sont installées les multinationales exploitant ces ressources naturelles. Par conséquent, elles ne profitent pas aux populations africaines. D’après le rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites, réactualisé en 2023, la croissance africaine oscille toujours autour de 5%, loin des deux chiffres projetés depuis des décennies pour faire sortir le continent de la pauvreté dans lequel il est englué.
Les pays fortement dépendants de ces ressources minières en sont les principales niches. Les exemples de la République Centrafricaine (RCA), de la République démocratique du Congo (RDC) sont à ce point illustratifs. La guerre entretenue au fil des décennies dans ces pays par des groupes armés, n’a pas permis à leurs gouvernements respectifs d’optimiser les bénéfices issus de l’exploitation des minerais souvent sous le contrôle desdits groupes.
Selon le Groupe de haut niveau, le continent a perdu près de 1000 milliards de dollars au cours de ces 50 dernières années soit à peu près la valeur de l’aide publique au développement dont il a été bénéficiaire au cours de la même période. Chaque année, le montant des pertes se chiffre à environ 50 millions de dollars.
De quoi alarmer les partenaires bilatéraux et multilatéraux qui, parce qu’ils sont eux-mêmes confrontés à des moments difficiles, ne peuvent plus honorer l’ensemble de leurs engagements vis-à-vis du continent. L’évasion des flux financiers est généralement favorisée par la corruption et les trafics d’influence.
Le rapport souligne le cas de l’Algérie, un des plus grands exportateurs de pétrole, mais paradoxalement privé de 25,7 milliards de dollars entre 1970 et 2008 du fait des flux financiers illicites. Il y a également le Kenya qui, en à peine neuf ans, entre 2002 et 2011, a perdu 1,51 milliard de dollars, alors que ce pays de l’Afrique de l’Est n’a lancé le développement de son industrie extractive que récemment.
Le Togo fut un moment classé par le Global Financial Integrity (GFI), dans son rapport daté de 2015, comme le pays au monde enregistrant le pourcentage de flux financiers illicites le plus élevé soit 76,3% de son PIB. Suivi du Libéria (61,6% du PIB du pays).
L’Afrique a pourtant besoin de sécuriser ses matières premières pour investir dans l’éducation, la santé, l’approvisionnement en électricité, l’assainissement et son développement tout court. Le continent gagnerait à optimiser la gestion de ces ressources naturelles pour garantir ses approvisionnements futurs surtout dans un contexte démographique de forte croissance projetée.
Pour le moment, l’on est loin de cet idéal. L’Afrique ne produit aucun service ayant des enjeux futuristes qui nécessiterait la transformation locale de ses matières premières. En plus, le cours de ses ressources à l’exportation est fixé au gré de la santé du marché financier mondial.
En 2016, le cours du pétrole avait connu une dégringolade spectaculaire, passant de 100 dollars le baril en 2013 à 26 dollars en février 2016 pour s’établir ensuite autour de 50 dollars en octobre de la même année.
Les autres matières premières, qu’il s’agisse du cuivre ou du minerai de fer, lui ont emboîté le pas, entraînant la banqueroute et le dépôt de bilan de plusieurs sociétés c’est le cas de la multinationale anglo-suisse Glencore et de la société chinoise Luanshya Cooper Mines, jusqu’alors exploitantes de cuivre au Mozambique, ou encore la firme britannique African Minerals, qui a été obligée de vendre le plus grand minerai de fer africain, en Sierra Leone, à la société publique chinoise Shandong Iron and Steel Group.