Les Libyens n’ont pas fini de pleurer et d’enterrer les milliers de leurs compatriotes, tués à la suite de l’effondrement de deux barrages du Wardi Derna dans la nuit du dimanche à lundi 11 septembre 2023. Selon des bilans controversés, la catastrophe causée par la tempête Daniel a fait au moins 3500 morts, majoritairement résidents de la ville de Derna, aux côtes libyennes.
L’ampleur des dégâts humains et matériels non seulement met en évidence les problèmes d’occupation de sols dans certains pays, et pas seulement du continent, mais aussi, elle ouvre la voie à des opportunités de réinvestissement, ce alors même que ce pays méditerranéen, comme de nombreux autres en Afrique, est confronté à un problème criard de logement, en l’occurrence dans les espaces urbains.
L’urgence qui s’impose désormais n’est pas seulement le retrait de tous les corps coincés dans les grabats ou la collecte et l’inhumation de ceux rejetés par la mer.
Il faut aussi reloger les dizaines de milliers de rescapés de la catastrophe humanitaire qui a frappé cette ville qui comptait 100 000 habitants avant la rupture des barrages. En 2022, le pays enregistrait 800 000 personnes en demande de logement à côté des 44 000 demandeurs d’asile.
Le prix des biens vitaux, y compris le logement, le transport et les combustibles, augmentait de 2,8% alors que, deux ans plus tôt, en 2020, le déficit se creusait de 32,7% du Produit intérieur brut (PIB), se transformant en excédent de 10,3% en 2021.
Le loyer mensuel moyen pour une unité d’une chambre dans le centre-ville est de 909 LD soit 188 USD, alors que les locations en dehors de la ville sont en moyenne de 562 LD par mois. Bien que le salaire minimum n’ait connu aucune augmentation depuis l’assassinat du Guide Mouammar Khadafi, les prix des loyers augmentent au-delà des moyens du ménage moyen, dans ce pays de seulement 6,9 millions d’habitants, selon des observateurs.
D’autres pays méditerranéens, à l’instar de la Tunisie, sont confrontés à un autre type de problèmes : l’accueil du flux de réfugiés ou de candidats à l’immigration, parfois refoulés sur leurs côtes après une infructueuse aventure de la traversée pour rallier l’autre rive occidentale de la Méditerranée.
Le pays ne s’y est pas préparé et doit contenir ces flux. Surtout que le pays ne dispose pas d’une loi sur l’asile. Fin mai 2022, le directeur général de l’Habitat au ministère de l’Équipement, Najib Snoussi, déclarait sur les antennes d’une radio privée de la capitale tunisienne que le secteur de l’habitat dans son pays avait traversé d’énormes difficultés au cours des cinq dernières années, du fait de la hausse des prix des matériaux de construction.
En guise de solution, il rassurait les Tunisiens des mesures prises par le gouvernement au profit des citoyens à revenus moyens. Notamment, la mise en place d’un crédit abordable avec des conditions favorables permettant de couvrir l’autofinancement à hauteur de 20%.
En juin 2023, le Maroc recensait 2,42 millions de ménages en attente d’un habitat, tandis que le nombre de personnes sans domicile augmentait de 330 000. La garantie « Visale », qui permet d’obtenir une caution locative d’Action Logement, sera également étendue à plus de 2 millions de personnes d’ici 2027, contre 1 million réalisés depuis 2018.
Une enveloppe supplémentaire de 160 millions sur cinq ans sera également consacrée au dispositif du « Logement d’abord », qui consiste à octroyer un logement pérenne aux personnes mal logées. Pour relancer la construction neuve aujourd’hui à l’arrêt, le gouvernement prévoit de faire racheter aux promoteurs par la Caisse des Dépôts et Action Logement 47 000 logements non vendus, selon le site d’informations marocain média24.com.
Au Sénégal et en Afrique du Sud
En Afrique du Sud, l’on estime à 600 000 logements en manque pour la classe moyenne noire.
Mais dans le même temps, près de 30 ans après l’abolition du régime de l’apartheid dans ce pays d’environ 60 millions d’habitants, où 37,12% de personnes vivent avec 3,20 dollars, jusqu’à 200 000 personnes sont privées de leur droit humain d’accès à un logement.
Par ailleurs, près de 13% des Sud-Africains vivent dans des cabanes ou des établissements informels, selon des données publiées en 2019 par le gouvernement. Les infrastructures urbaines n’ont pas été à la proportion du nombre d’habitants ayant migré des zones rurales vers ces centres-villes urbains à la recherche de meilleures opportunités d’emploi et d’accès à une éducation et à des services de santé de qualité. La pénurie de logements abordables s’élève toujours à environ 3,7 millions de logements.
Le Sénégal, lui, exprime un besoin annuel de 15 000 logements, représentant un énorme déficit. C’est ce qu’a révélé le Premier ministre de ce pays, Amadaou Ba, le 20 octobre 2022, alors qu’il présidait, au Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio (Cicad), la cérémonie d’ouverture du 4ème Salon international de l’habitat, du logement et de la construction au Sénégal (Sen Sénégal).
Le thème des travaux était d’ailleurs choisi à bon escient : « Nouvelle dynamique de la production à grande échelle du logement durable et abordable au Sénégal : stratégies et perspectives ».
Cette 4ème édition Sen habitat constitue une opportunité pour échanger de manière approfondie, des stratégies de production à grande échelle de logements abordables pour tous. Les experts du Sénégal, d’Afrique, de la Turquie vont échanger sur les bonnes pratiques et exemples réussis de politiques de promotion de logements réussies dans le monde,
soulignait alors le chef du gouvernement.
Le cas du Sénégal sera à l’aune de toutes les productions, avec un examen sans complaisance des projets et programmes en cours pour une meilleure projection vers l’avenir au regard des nouveaux défis,
avait expliqué le Premier ministre Amadou Ba. En 2022, la République démocratique du Congo (RDC) enregistrait un déficit de 4 millions de logements, selon Africa Property News. La forte demande est exprimée notamment à Lubumbashi, deuxième ville du pays avec ses 4 millions d’habitants.
Même muni de 1000 dollars, il n’est pas aisé de s’offrir un appartement dans le centre-ville, nous apprend RFI. Les demandeurs doivent débourser entre 3000 et 4000 dollars pour s’offrir la location d’une villa de quatre chambres en fonction de la superficie, et un montant compris entre 250 et 500 dollars pour un appartement.
Du coup, les prix de vente des terres se sont envolés. La disparité entre l’offre et la demande a ouvert la voie à la spéculation, comme le reconnait l’ingénieur en construction Nathan Kabayo, interviewé par RFI.
Dans le temps, un terrain d’une dimension de 60 mètres sur 30 se vendait à 700 dollars, voire 1 200 dollars. Maintenant, il y a une hausse des prix. Par exemple, un morcellement d’une parcelle de 20 mètres sur 30 coûte 30 000 dollars,
détaille-t-il. Toutefois, cette forte demande, consécutive à la croissance de la population urbaine, a dopé les investissements, qui se sont multipliés ces dernières années aussi bien dans le secteur hôtelier que des immeubles et des villas. Le choix préférentiel des opérateurs du secteur est l’investissement immobilier locatif. La demande annuelle en logement est actuellement de 250 000, selon l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANAPI).
Une question indissociable de l’accès au sol
La situation spéculative en RDC n’est pas un cas isolé. Au cours des 40 dernières années qui ont suivi la proclamation des indépendances en Afrique, les gouvernements centraux des pays africains n’ont pas réussi le pari d’empêcher le développement parfois spectaculaire des bidonvilles.
Aucun pays du continent n’échappe à ce phénomène. Ensuite se sont développés de nouveaux espaces urbanisés en dehors de tout contrôle étatique. L’expert Philippe Antoine, directeur de recherches à l’Orstom, CEPER, sis à Paris, déplorait il y a quelques années, dans son ouvrage « Crise et population en Afrique », l’absence de données fiables et affinées pouvant permettre un constat comparatif des villes notamment celles de l’Afrique francophone (Abidjan, Dakar en particulier).
L’expert Beaugrain Doumongue, quant à lui, déplore la faiblesse des investissements et de la consommation en logements : « l’investissement dans le logement en Afrique est de 9 ans en retard par rapport à l’urbanisation », celle-ci allant de pair avec la pauvreté, selon le constat de cet analyste. Entre autres facteurs, il y a les coûts élevés des matériaux en par rapport au pouvoir d’achat de la moyenne globale.
Selon la revue The Economist, seulement 10% des terres sont enregistrées et commercialisables. Non sans répercussions sur les prix des logements
devenus trop onéreux pour une masse critique de populations incapables de se les permettre (jusqu’à 865 dollars/m2 au Congo), d’où l’obligation pour elles [ces populations, Ndlr] d’adopter des solutions de remplacement.
En 2015, 60% à 70% de ménages urbains africains dans des taudis
Par conséquent, jusqu’en 2015, 60 à 70% de ménages urbains africains vivaient dans des taudis, selon un rapport commis à l’époque par le Groupe de la Banque mondiale. Le cas de l’Afrique du Sud est assez édifiant. Dans ce pays austral, qui lutte contre le phénomène du « sans-abrisme », selon un néologisme local, environ 13% des près de 60 millions d’habitants vivent dans des logements informels, à en croire les statistiques rendues publiques par le gouvernement.
Certains sont établis sur des terrains souvent non constructibles et parfois inondables. Ce qui explique les dégâts causés par des crues, dont les derniers épisodes se sont produits ces deux dernières années. Le Niger, parce qu’il est irrigué par le fleuve éponyme, a également connu ce phénomène par des saisons pluvieuses. Tout comme Lagos, récemment en proie à des catastrophes de même nature.
Face à cette pénurie de logements décents, le groupe de la Banque mondiale dans un communiqué publié depuis Johannesburg, le 1er décembre 2015, appelait à une nouvelle approche aux politiques de logement, de prêt et aux politiques foncières.
L’approche innovante prônée par l’institution bancaire internationale devrait permettre de « créer des villes sans exclus, stimuler la croissance économique et produire des emplois ». Cette interpellation est d’autant plus pertinente que, d’après le rapport Stocktaking of the Housing Sector in Sub-Saharan Africa, l’Afrique pourrait compter pas moins de 1,2 milliard de citadins à l’horizon 2050, et 4,5 millions de nouveaux résidents par an dans les zones d’habitation informelle, dont la plupart ne peuvent s’offrir un logement simple dans le secteur formel ou obtenir un prêt hypothécaire.
Des logements de qualité adéquate sont un élément déterminant de la croissance économique et de l’intégration sociale,
déclarait à la même occasion la vice-présidente par intérim pour l’Afrique de la Banque mondiale. Mamta Murthi,
Les autorités devront s’associer au secteur privé pour favoriser les investissements dans le logement en élargissant l’accès au parc existant et en améliorant la qualité de ce dernier, et permettre dans le même temps à la population d’obtenir plus facilement des prêts fonciers et immobiliers.
Le rapport de l’institution bancaire internationale déplore en outre le fait que, « Dans de nombreux pays africains, seuls les 5 % ou 10 % des plus aisés de la population ont les moyens de se procurer un logement formel de la catégorie moins chère ».
Cette précision est faite parEde Jorge Ijjasz Vasquez, directeur principal du Pôle mondial d’expertise en Développement social, urbain et rural, et résilience du Groupe de la Banque mondiale.
En conséquence, conclut-il, 90 % des Africains vivent dans des logements informels, où les conditions de vie sont souvent inférieures à la norme et dont les services de base comme l’eau, l’électricité et l’assainissement sont absents. Le rapport démontre que des interventions ciblées sur le marché informel peuvent améliorer rapidement la qualité du stock de logements existant dans plusieurs pays africains.
Au Maroc, 100 000 logements annoncés pour 2026
Des efforts sont déployés de part et d’autres pour solutionner cette crise de logement. Le Maroc ambitionne de construire deux millions de logements sociaux, comme l’a annoncé la ministre de l’Aménagement du territoire, Fatima Ezzahra El Masouri, en mi-juillet 2023.
Lancé en 2010, le plan de logements sociaux devait s’étaler jusqu’en 2020. Il a permis de faire sortir de terre 600 000 logements sociaux. Le nouveau plan annoncé prolonge le précédent jusqu’en 2026. A cette échéance, 100 000 unités supplémentaires devraient être livrées, sauf survenue des aléas.
Les pouvoirs publics marocains annoncent également la mise en place d’un nouveau dispositif de soutien financier au profit des nouveaux acquéreurs. L’offre est destinée aux ménages à revenu faible et moyen, en mesure de dépenser un minimum de 29.000 dollars US soit 300 000 ou 68423 dollars US soit 700 000 dirhams pour un logement.
Les veuves et les mères célibataires en priorité devraient bénéficier de l’aide promise. Le plan 2020-2026 se décline en deux axes : la poursuite du programme d’habitat social à 24436 dollars US soit 250 000 dirhams, et l’adoption d’une nouvelle stratégie de logement, basée sur le nouveau modèle de développement.
Les promoteurs immobiliers son dès lors encouragés à réaliser des logements de 50 à 80 m2, dont le prix serait plafonné à 24436 dollars US soit 250 000 DH hors taxe : des exonérations d’impôts, de droits et de taxes seront appliquées, tandis que la TVA sera prise en charge par les acquéreurs. Le gouvernement sénégalais, lui, a amorcé la lutte contre les habitats indécents :
Deux projets phare du Pse, à savoir le Programme zéro bidonville avec en son sein, le projet de 100 000 logements, et le Programme de développement et de promotion des pôles urbains, sont autant d’initiatives prises par le président de la République, Macky Sall, pour, d’une part résorber le gap des 350 000 logements, d’autre part satisfaire les nouvelles demandes de logement estimées à 15 000 unités par an,
indiquait le chef du gouvernement.
Quid de l’Afrique du Sud ? Depuis la fin de l’ère de l’apartheid et le début des premières élections démocratiques, en 1994, le gouvernement de ce pays s’est engagé à offrir aux familles à faible revenu des logements financés par l’État pour résoudre la crise du logement. Dans cette perspective, le gouvernement a, entre 1994 et 2020, construit plus de 3 millions de logements à bas prix.