Le marché africain est de plus en plus sollicité voire courtisé par les économies émergentes. Le Cameroun, et plus largement l’Afrique centrale, n’en sont pas en marge. Après le ballet effectué dans ce pays de l’Afrique centrale, ces dernières années par des pays économiquement ambitieux, à l’instar du Maroc, de l’Algérie, de l’Uruguay et, avant ceux-ci, les pays du golfe, la Turquie, c’est au tour de l’Argentine d’y explorer les opportunités d’affaires.
Une mission économique et commerciale constituée de six chefs d’entreprises de ce pays de l’Amérique du Sud, sous la conduite du consul honoraire du Cameroun en Argentine, Victor Bille, a effectué un séjour de soixante-douze heures dans la capitale économique camerounaise, Douala. La rencontre d’affaires débutée le 05 décembre, a conduit les opérateurs économiques argentins dans les services du gouverneur de la Région du Littoral, à la mairie de la ville, au Port autonome de Douala (PAD) et à la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et de l’artisanat (CCIMA) du Cameroun.
L’initiative qui s’inscrit dans le cadre d’une offensive commerciale, est « une réponse » aux journées camerounaises en Argentine (JCA), qui se sont tenues du 27 mars au 04 avril 2023 dans la province argentine de Santa Fe et dans la capitale Buenos Aires. Les trois principales articulations de la mission économique au Cameroun sont l’agro-pastoral, le projet du port sec et le programme de télémédecine. Ce dernier intègre les volets formation et coopération.
La brève escale de la délégation argentine au Port autonome de Douala n’est pas fortuite. Les Argentins excellent particulièrement dans la construction de ports secs. Le port sec de Saragosse (Espagne) est un fait d’armes qui parle de lui-même et milite en faveur de leur sollicitation par le Cameroun. Ils en ont également construit un en Equateur, un pays situé aussi en Amérique latine.
Du reste, le Cameroun a besoin de cette expérience pour doter le PAD d’un port sec dans la localité de Missolè, située dans le département de la Sanaga Maritime, à une dizaine de kilomètres à l’est de Douala, sur la route reliant la capitale économique à Yaoundé.
Pourquoi faire des affaires avec l’Argentine ?
Outre le domaine des ports secs, l’Argentine est également une référence dans la transformation des matières premières, des produits agricoles en produits alimentaires, des technologies tout court. S’agissant de la filière de l’industrie pharmaceutique, où l’expertise n’est pas moins avérée, l’on apprend que le ministère de la Santé publique du Cameroun pilote un projet de télémédecine avec des partenaires argentins. Le but est de :
faciliter l’accès des Camerounais à des médicaments à de très bons prix, et sans aucun intermédiaire
dans la chaine. Par ailleurs, trois laboratoires argentins frappent actuellement aux portes du Cameroun, a appris Invest-Time. Le pays de Javier Milei – le président argentin récemment élu et installé le 10 décembre – possède donc plusieurs atouts, dont la maîtrise des normes. C’est tout le contraire du Cameroun, dont certains produits retenus dans le cadre des accords de partenariat économiques sont souvent refoulés aux portes de l’Union européenne pour non compatibilité aux normes requises, selon des acteurs économiques locaux.
Les normes de production de l’Argentine sont validées et reconnues par l’Union européenne. L’Argentine peut nous permettre donc d’avoir la carte de visite qui facilitera notre accès à l’Union européenne,
s’est félicité le consul honoraire du Cameroun en Argentine, Victor Bille, le 06 décembre 2023, lors du passage de la mission économique argentine à la Chambre de commerce.
Coopération Sud-Sud
Pour lui, la coopération Sud-Sud que l’Argentine veut incarner, est un modèle à saluer. Surtout dans un contexte de mise en œuvre de la politique de l’import-substitution telle que prévue par la Stratégie nationale de développement 2020-2030 (SND30). Dans un contexte aussi où les Accords de partenariat économique (APE) liant le Cameroun à l’Union européenne n’ont pas répondu à toutes les attentes concernant notamment la mise à niveau des entreprises camerounaises :
La coopération Sud-Sud est l’une des grandes options pour faire évoluer ce vide de mise à niveau, qui ne porte pas encore les fruits auprès des opérateurs économiques camerounais
, a-t-il souligné.
Une balance commerciale déficitaire au détriment du Cameroun
Mais sur le plan du commerce extérieur, le fossé de la compétitivité se creuse entre l’Argentine et le Cameroun. Par exemple, le problème d’accès au foncier demeure un des principaux obstacles aux investissements au Cameroun, longtemps décrié par le plus important patronat de ce pays. Les lourdeurs procédurales ne facilitent pas la tâche aux investisseurs.
A contrario, la plus petite ferme agricole exploitée par une entreprise agricole de moindre taille, en Argentine, couvre une superficie d’au moins 20 000 hectares, a-t-on appris. Par ailleurs, une Petite et moyenne entreprise (PME) considérée comme telle, au pays de Diego Maradona, compte au moins 150 salariés, alors que certaines PME camerounaises peinent à recruter 20 employés.
Il faut ajouter à ce qui précède, le déséquilibre des échanges entre les deux pays au niveau du commerce extérieur. La balance commerciale est sans cesse déficitaire au détriment du Cameroun. En 2019, le volume des exportations camerounaises est de 18 millions de dollars US. Suffisant pour justifier l’interpellation des partenaires argentins par la Chambre de commerce du Cameroun sur le modèle d’échanges voulu par ce pays pourtant considéré comme le pilier de la sous-région. Le Cameroun veut privilégier un partenariat gagnant-gagnant, qui soit bénéfique aux deux parties.
Un taux d’inflation projeté à 185.0% en 2023 en Argentine
L’Argentine n’a pas de problème de transfert de technologie contrairement aux autres qui veulent que nous ne soyons qu’un comptoir commercial. Ils ne viennent pas exploiter, mais s’installer sur le territoire camerounais,
a dit le consul honoraire du Cameroun en Argentine en écho aux vœux et aux exhortations de la Chambre de commerce. Il est bon de savoir cependant que l’Argentine traverse ces dernières années une crise économique profonde. Fin 2023, le taux d’inflation annuel devrait atteindre 185%, selon les estimations des analystes sondés par la Banque centrale de ce pays.
Par ailleurs, la hausse du niveau de la pauvreté inquiète et a été à l’origine de nombreuses manifestations. C’est dans ce contexte que le populiste Javier Milei a été porté en triomphe à l’issue de la récente élection présidentielle dans ce pays. Ces facteurs montrent bien que les Argentins sont dans une logique d’offensive, en quête de marchés pour leurs produits agro-alimentaires, entre autres.
La venue des six chefs d’entreprises n’est qu’une étape d’une série d’autres actions économiques à venir. Des producteurs laitiers pourraient séjourner au Cameroun dans les tout prochains jours dans le cadre d’un « programme d’envergure », selon la seule femme membre de la délégation argentine et opératrice de la filière agricole dans son pays. Une réunion est en préparation au Cameroun en vue de finaliser la signature du cadre de partenariat bilatéral avec l’Argentine.