L’huile de palme, aussi connue comme « l’or rouge », est principalement utilisée comme un produit alimentaire. Ce secteur représente environ 80% de sa production totale, avec 19% pour le marché des cosmétiques, alors qu’une proportion minime est destinée à la production énergétique. L’huile de palme est l’huile végétale la plus consommée au monde. Elle est certes consommée sous sa forme d’origine dans les pays producteurs, mais elle est plus souvent utilisée dans la transformation des aliments.
Plusieurs raisons expliquent pourquoi elle occupe une place si importante dans le marché agro-alimentaire. Premièrement, l’industrie y voit une option économique aux graisses animales autrefois utilisées. La production de cette huile se fait à l’année longue et ses rendements sont plus avantageux que ceux de plantes alternatives comme le soya. Deuxièmement, ses qualités physiques cadrent parfaitement avec l’utilisation recherchée.
L’huile de palme provient d’une plante originaire d’Afrique de l’Ouest. Étonnement, la plupart des pays de la région n’ont pas développé une production industrielle, il s’agit surtout de productions à petite échelle visant à nourrir les populations locales. La majeure partie de la production se situe en Asie du Sud-Est. Effectivement, la Malaisie et l’Indonésie représentent à eux seuls plus de 85% de la production mondiale.
Un marché mondial croissant
Le marché de l’huile de palme est en plein essor. Il croît de 8,7% annuellement depuis 1995, et la demande ne semble pas vouloir diminuer. Le marché de l’huile de palme représentait environ 50 milliards de dollars en 2014, on prévoyait que ce chiffre devrait tripler d’ici 2050. Cette hausse de la demande s’explique par plusieurs facteurs dont la hausse de la population, l’augmentation du niveau de vie dans plusieurs pays, ainsi que l’évolution des modes de vie qui en découlent.
Les populations qui accèdent à des niveaux de vie plus élevés ont tendance à adopter une alimentation comportant plus d’aliments transformés et de plats préparés. Selon la Banque mondiale, la consommation d’aliments et de boissons risque fort bien de quadrupler d’ici 2030 dans les villes.
Ces projections à la hausse de la demande attirent la convoitise et plusieurs pays veulent désormais prendre leur place dans l’industrie pour profiter de cette manne. C’est le cas de certains pays d’Amérique du Sud comme le Brésil, mais surtout, des pays de l’Afrique de l’Ouest, pour qui l’huile de palme représente certainement un Eldorado économique.
À ce chapitre, le Nigeria, le Ghana et la Côte-d’Ivoire font office de meneurs dans l’industrie sur le continent africain avec une production annuelle respective de 930 000, 495 000 et 400 000 tonnes. Le gouvernement du Gabon a quant à lui annoncé qu’il comptait bien devenir le premier producteur d’huile de palme en Afrique. Pour y arriver, le pays compte sur le soutien financier du groupe singapourien Olam. Il possède également de vastes terres encore inexploitées, ce qui lui confère un avantage certain face à ses compétiteurs africains.
Une production pas suffisante pour satisfaire la demande locale
Toutefois, il faut comprendre que les pays de l’Afrique de l’Ouest ont un énorme fossé à franchir s’ils veulent rattraper leurs concurrents asiatiques dans un avenir rapproché. La production régionale actuelle est principalement vivrière et ne suffit même pas à la demande locale. En 2013, la région accusait un déficit de 800 000 tonnes, forçant plusieurs pays à importer de l’huile des pays asiatiques.
Ceux-ci ont une vaste expertise, autant dans la culture que dans le processus de raffinage, et un climat plus favorable. Il est aussi fort probable qu’ils risquent de tout faire pour garder leur monopole sur le marché. Au-delà de son positionnement dans les « cultures de rente », la filière palmier à huile en Afrique, selon Agritrop, est essentiellement « vivrière » et assure un approvisionnement des marchés locaux. L’artisanat alimentaire y contribue en grande partie en approvisionnant les marchés et en proposant une gamme variée d’huiles rouges.
L’huile de palme rouge présente l’intérêt d’être le produit végétal le plus riche en bêtacarotène, précurseur de la vitamine A. C’est aussi un support essentiel de la cuisine africaine. Enfin, il représente une source d’emploi de milliers de femmes en milieux rural et urbain. L’huile de palme est le principal corps gras consommé au Cameroun et en Côte d’Ivoire (10 kg/personne/an à Yaoundé et en moyenne pour la Côte d’Ivoire).
Dans ces deux pays, la culture du palmier à huile s’est fortement développée à partir des années 60 : des sociétés de développement agro-industrielles ont mis en place des plantations de palmiers sélectionnés à hauts rendements. L’huile produite était au départ orientée vers l’industrie ou l’exportation. Aujourd’hui, à part l’usage en savonnerie et cosmétique, la production industrielle d’huile de palme de ces pays est tournée vers des marchés locaux (nationaux et régionaux) de consommation alimentaire, soit sous forme raffinée (huile de table), soit pour la consommation d’huile rouge.
Au Cameroun, la moitié de l’huile brute produite par les sociétés industrielles est écoulée en « huile rouge » sur les marchés locaux. A côté de ce développement industriel, la filière artisanale s’est maintenue et prend actuellement de l’ampleur : 25 000 à 40 000 t d’huile artisanale rouge dans chacun des deux pays sont destinées à la consommation alimentaire locale.
L’Afrique dépendante des importations
Avec la guerre en Ukraine, puis l’arrêt des exportations indonésiennes, les cours de l’huile rouge n’ont jamais été aussi hauts. Si Jakarta a finalement décidé de lever son embargo, cette décision a révélé, si besoin était, la forte dépendance des pays africains aux importations. Selon le journal Jeune Afrique, le président indonésien Joko Widodo a levé l’embargo qu’il avait imposé, le 28 avril dernier, sur les exportations d’huile de palme.
Au vu de l’offre et de la situation de l’huile de cuisson, et étant donné qu’il faut prendre en compte 17 millions de personnes employées dans le secteur de l’huile de palme […], j’ai décidé que les exportations d’huile de cuisson pourront reprendre le lundi 23 mai,
avait-il annoncé dans une courte déclaration. Fin avril, Joko Widodo avait provoqué la stupeur en annonçant brutalement l’interdiction d’exporter l’huile de palme indonésienne, qui représente 60 % de la production mondiale.
Sur les marchés internationaux, les cours s’étaient immédiatement envolés, pour atteindre 1 500 dollars la tonne, quand ils s’établissaient à 1 200 dollars/t avant l’invasion ukrainienne. Un cours déjà particulièrement haut comparé à celui de mai 2020, de 462 dollars. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les mesures protectionnistes se multiplient pour certaines ressources stratégiques. Cela a été le cas du gaz, du pétrole, des engrais, du blé, ou encore de l’huile de tournesol, dont l’Ukraine et la Russie comptent parmi les principaux exportateurs mondiaux.
Si aucun des deux belligérants ne produit d’huile de palme, les cours de celle-ci ont, par effet domino, suivi la même courbe que ceux de l’huile de tournesol. Au point que le spectre d’une pénurie de ce produit si crucial dans une partie du continent se fait de plus en plus menaçant. Si certains acteurs de la filière africaine espèrent capitaliser sur cette flambée des cours, à l’instar de Palmci, la filiale du groupe ivoirien Sifca, le continent reste cependant très dépendant des importations de ce produit qui, pourtant, y a ses racines.
Avant les indépendances, l’Afrique de l’Ouest en était d’ailleurs le premier producteur mondial. Aujourd’hui, 80 % des 10 millions de tonnes d’huile de palme consommée dans les pays du continent sont importées. Si la production, tirée par le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana, est en hausse, elle reste dominée par la filière artisanale (80% des plantations), dont les rendements peuvent être encore largement améliorés.
Marché en or pour l’huile de palme
Les cours moroses n’ont pas douché la volonté des industriels. Car, en bout de chaîne, la demande est exponentielle. Et, en amont, de gros progrès peuvent encore être réalisés sur les rendements. Qu’il semble loin le temps où les cours de l’huile de palme atteignaient des sommets… Ce n’était pourtant qu’il y a trois ans. À l’époque, l’huile raffinée tirée des grains de palmier s’échangeait à Kuala Lumpur, la Bourse de référence de cette matière première, quelque 4 500 ringgits (920 euros) par tonne, contre 2 500 aujourd’hui.
Après une reprise au deuxième semestre 2016, son prix a fléchi à nouveau au début de 2017. Pas de quoi, pour autant, décourager les industriels en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Dans cette petite zone de production à l’échelle mondiale – 3 millions de tonnes sur un total de 60 millions, essentiellement fournis par l’Indonésie et la Malaisie –, c’est même plutôt la confiance qui domine.
“Parce que la demande est là “, s’accordent à dire tous les interlocuteurs, à l’image du président de la filière ivoirienne de l’huile de palme, Jean-Louis Kodo, par ailleurs, directeur de Sania et de Palmci, les deux filiales du leader ivoirien Sifca respectivement chargées de la production d’huile raffinée et non raffinée.
Un marché local demandeur
Pour les transformateurs, habitués aux variations cycliques de cette matière première, l’huile de palme possède, contrairement aux cultures de rente majoritairement exportées comme le cacao ou l’hévéa, l’avantage de se destiner au marché local. Denrée de base, à l’image du sucre ou de la farine, elle est plébiscitée par les ménages pour son coût abordable. Et cette demande n’est pas près de se tarir :
On prévoit que la consommation progresse de 3 à 4 % par an dans la région, cela suit directement la croissance démographique,
se félicite un industriel. Pour les pays situés dans la zone de production (le long du golfe de Guinée, depuis la Sierra Leone jusqu’à la RD Congo), c’est l’occasion de répondre à la fois à leur demande locale et d’exporter vers les pays non producteurs de la région comme le Sénégal, le Mali et le Burkina Faso, qui en sont friands.
Ces trois pays représentent ainsi 95% des ventes extérieures de la Côte d’Ivoire, qui satisfait globalement ses besoins et exporte environ un tiers de son huile de palme. Alors, partout les projets fleurissent. Certains pays possédant d’immenses surfaces inoccupées font la part belle aux grandes plantations industrielles, à l’image de la Sierra Leone, du Liberia, qui a accueilli, il y a quelques années, les géants malaisien Sime Darby et indonésien Golden Agri-Resources. Ou encore du Gabon où, en partenariat avec l’État, le singapourien Olam a récemment inauguré une huilerie et mène un programme de plantation de 50 000 hectares.
Le Nigeria, pays prometteur
Mais, pour le groupe belge Siat (Société d’investissement pour l’agriculture tropicale, présente au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Ghana, et qui mène actuellement une acquisition au Liberia), le géant d’Afrique de l’Ouest est de loin le pays le plus prometteur.
« Le Nigeria est le seul pays où il y a beaucoup à faire », estime avec enthousiasme Gert Vandersmissen, le directeur des opérations de Siat, qui vient de planter 11 000 ha et commence un nouveau projet de 14 000 ha dans l’État d’Edo. Autrefois premier exportateur mondial d’huile de palme, ce pays possède un double atout : de grandes surfaces y sont disponibles, et son marché intérieur, immense, est loin d’être satisfait.
Fort de plus de 180 millions d’habitants, il engloutit chaque année « 2 millions de tonnes d’huile, mais n’en produit que la moitié », rappelle Gert Vandersmissen. Dans les pays où peu de terres sont encore vacantes, comme le Ghana et la Côte d’Ivoire, une autre stratégie s’impose.
Concurrence forte
Dans cette dernière, deuxième producteur (elle veut passer de 420 000 à 1 million de tonnes d’ici cinq ans) mais premier exportateur de la région, la concurrence est de plus en plus rude pour l’accès aux régimes de palmier. Ceux produits par les plantations villageoises sont de plus en plus prisés. Car, aux côtés des opérateurs historiques nés du démantèlement de Palmindustrie (Sifca, Palmafrique, Adam Afrique) et qui possèdent leurs propres cultures, de nouveaux venus ont fait leur apparition, ces dernières années.
A savoir Africa West Industries, un producteur de savon qui a lancé en mai dernier sa propre huilerie, ou encore l’israélien Dekel Oil.
À leur arrivée au début des années 2010, ils ont capté la production de villageois qui vendaient jusque-là à Sifca en renchérissant sur les prix, cela a bousculé le secteur,
raconte un acteur, soulignant l’effet boule de neige constaté cette saison-là sur les prix dans tout le pays. En Côte d’Ivoire, comme ailleurs, d’importants défis restent à relever pour consolider la place des professionnels du secteur et leur permettre de se développer à l’international. D’abord, l’exigence grandissante, venant des pays riches, d’une production durable.
C’est certes une petite part de nos volumes, mais les bailleurs sont vigilants sur ce point, et nous avons besoin de leur soutien,
rappelle Abdoulaye Berté, secrétaire exécutif de l’association interprofessionnelle de la filière palmier à huile (AIPH) et ancien de Palmci. Le renforcement de la protection des marchés régionaux face aux importations est ensuite réclamé par les industriels pour garantir la viabilité de leurs projets. Certes, la Cedeao prévoit des barrières douanières de 35 % à l’entrée du marché ouest-africain, mais celles-ci sont, de l’avis général, souvent contournées.
L’exemple camerounais
De plus, le contrôle insuffisant des frontières laisse, dans certains pays, le champ libre aux importations frauduleuses d’huile, souvent frelatée, en provenance notamment de l’hinterland via le Nigeria. À ce sujet, le Cameroun est cité en exemple : grâce à un contrôle renforcé des frontières, à l’instauration de taxes « prohibitives » respectées, et à une entente des industriels et de l’État sur les prix (parfois qualifié de « cartel »), le pays se protège des importations, qui ne sont autorisées qu’en cas de déficit de production. Enfin, l’amélioration des rendements figure en tête des priorités pour assurer la compétitivité de la filière.
Une ombre au tableau…
Si les retombées économiques d’une production accrue de l’huile de palme font saliver, il n’en reste pas moins que de nombreuses voix se font déjà entendre pour dénoncer fermement l’engouement suscité par cette plante. Les groupes de défense de l’environnement sont les chefs de file à ce niveau, puisqu’ils affirment que l’industrie de l’huile de palme représente un véritable danger pour l’environnement. Les arguments de ces groupes tournent majoritairement autour de la déforestation qui est souvent nécessaire afin d’implanter une culture de palmiers. Entre 1990 et 2010, 8,7 millions d’hectares de forêt ont été rasés en Indonésie, en Malaisie ainsi qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Cette déforestation met en péril la biodiversité des pays producteurs.
Les écologistes peuvent citer l’exemple de l’Indonésie qui a vu ses populations d’orangs-outans et d’éléphants fortement affectées par la déforestation. D’ailleurs, l’orang-outan y est désormais une espèce en voie de disparition. Un autre aspect néfaste engendré par la production d’huile de palme est la hausse des émissions de gaz à effet de serre. Aussi, l’utilisation massive d’engrais chimique est fortement décriée par les groupes de défense de l’environnement. Et pis encore, certains soulignent le fait que toute cette déforestation favorise l’érosion des sols, ce qui rend les populations locales plus vulnérables dans le cas de catastrophes naturelles comme des inondations.