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Afrique : comment tirer profit du phosphate de chaux pour stimuler la production agricole

Le continent continue d’importer du phosphate de chaux et reste exposé  à des risques majeurs d’approvisionnement. Pourtant, l’Afrique dispose de réserves considérables, estimées à 40 milliards de tonnes par l’OCP Policy Center, soit près de 60 % du total mondial. 

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Le phosphate de chaux est un minerai stratégique dans la fabrication des engrais phosphatés, indispensables pour augmenter les rendements agricoles. La demande mondiale en engrais phosphatés ne cesse de croître, tirée par l’expansion démographique et l’intensification de l’agriculture. Selon les dernières projections de la Banque Mondiale, la consommation annuelle devrait progresser de 2,5 % jusqu’en 2030, avec une demande particulièrement forte en Asie du Sud et en Amérique latine. Cette tendance se traduit par une pression constante sur les prix, qui ont connu des fluctuations majeures, ces dernières années. Après avoir atteint un pic historique à 450 dollars, la tonne en 2022, en raison des perturbations logistiques liées à la guerre en Ukraine et à la flambée des coûts énergétiques, les prix se sont partiellement stabilisés autour de 300 dollars en 2024, selon les données d’IndexBox. 

Cette volatilité est d’autant plus préoccupante que le marché du phosphate est extrêmement concentré. Quatre pays : la Chine, le Maroc (y compris le Sahara Occidental), les États-Unis et la Russie,  assurent à eux seuls 72% de la production mondiale, comme le souligne le dernier rapport de l’United States Geological Survey (USGS). Une telle dépendance expose les pays importateurs, notamment en Afrique subsaharienne, à des risques majeurs d’approvisionnement. Pourtant, ironie du sort, le continent africain dispose de réserves considérables, estimées à 40 milliards de tonnes par l’OCP Policy Center, soit près de 60 % du total mondial. 

L’Afrique, un géant minier aux pieds d’argile

Malgré ses immenses ressources, l’Afrique ne joue pas un rôle à la hauteur de son potentiel dans l’industrie phosphatée. Seuls quelques pays exploitent significativement leurs gisements. Le Maroc, leader incontesté, a produit 38 millions de tonnes en 2023, consolidant sa position de deuxième exportateur mondial, selon l’Office chérifien des phosphates (OCP).

 L’Égypte suit avec 6 millions de tonnes, tandis que la Tunisie et l’Algérie maintiennent une production stable, autour de 3,5 et 1,2 millions de tonnes respectivement. Le Sénégal, avec ses mines de Taïba et de Matam, a atteint le million de tonnes, l’an dernier, selon les chiffres compilés par BMI Research. 

Mais ces chiffres masquent une réalité plus complexe. La plupart des pays africains se contentent d’exporter du phosphate brut, sans valorisation locale. Une étude de la Banque Africaine de Développement publiée en 2023 estime que près de 80% de la production africaine quitte le continent sans transformation, privant les économies locales de précieuses opportunités industrielles. Résultat : l’Afrique subsaharienne, qui pourrait être autosuffisante, importe aujourd’hui plus de 90% de ses engrais, selon la FAO, ce qui pèse lourdement sur ses finances et sa sécurité alimentaire. 

Transformation locale : un impératif économique et agricole

Quelques signaux positifs émergent cependant. Au Sénégal, le projet Phosphates de Matam (PDS) prévoit non seulement d’augmenter la production, mais aussi, de construire une usine de transformation dédiée aux engrais. Selon le ministère sénégalais des Mines, ce complexe pourrait à terme réduire de moitié les importations d’intrants agricoles dans la région. L’Algérie, de son côté, a signé un accord avec l’Inde pour développer une unité de production d’engrais d’une capacité de 2,4 millions de tonnes par an, comme l’a annoncé Sonatrach début 2024. 

Au Maroc, L’OCP dispose de complexes industriels sophistiqués, tels que celui de Jorf Lasfar, il serait l’un des  plus grands complexes d’engrais au monde, produisant divers types d’engrais, y compris le superphosphate simple (SSP), le superphosphate triple (TSP) et le phosphate diammonique (DAP).

Bien que sa production ait diminué, la Tunisie transforme toujours une partie de son phosphate en engrais. Le Groupe Chimique Tunisien (GCT) est impliqué dans cette transformation, bien que la capacité de production soit inférieure à son potentiel historique.

Ces initiatives restent toutefois insuffisantes face aux défis structurels. De l’avis des experts, la transformation du phosphate en engrais nécessite des infrastructures lourdes et une énergie abondante souvent indisponible en Afrique subsaharienne. Une usine d’engrais standard représente un investissement initial de 1,5 à 2 milliards de dollars, selon les estimations de la Société Financière Internationale (SFI). Sans mécanismes de financement innovants, comme des partenariats public-privé ou des prêts concessionnels, peu de pays pourront franchir le pas. 

Vers une stratégie continentale intégrée

La solution réside peut-être dans une approche régionale. La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) pourrait faciliter les échanges de matières premières et d’engrais entre pays producteurs et consommateurs. La Banque Africaine de Développement plaide pour la création d’un fonds dédié aux intrants agricoles, qui permettrait de mutualiser les risques et les coûts. 

Parallèlement, des innovations agronomiques pourraient réduire la dépendance aux engrais importés. Dans des pays comme le Burkina Faso ou le Togo, des études du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) publiées en 2023 montrent que l’utilisation directe de phosphates naturels, moins coûteux et mieux adaptés aux sols acides, donne des résultats prometteurs.

 Des start-ups locales, à l’image de Green Agro au Togo, développent des formules hybrides combinant minéraux et compost organique, offrant une alternative viable pour les petits exploitants. L’enjeu n’est pas seulement agricole, mais aussi industriel.

 Si l’Afrique parvenait à transformer ne serait-ce que 30% de sa production de phosphate, elle pourrait, selon les analystes économiques générer des milliards de dollars de valeur ajoutée, tout en sécurisant son approvisionnement alimentaire. Les investisseurs  ont désormais les cartes en mains pour faire basculer le continent du statut de fournisseur passif à celui de puissance agro-industrielle.

En rappel, le marché mondial du phosphate a connu une croissance significative, ces dernières années. Selon une analyse de Market Research Future, le marché mondial des phosphates devrait atteindre 112,15 milliards de dollars américains d’ici 2028, avec un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 5,89 % entre 2021 et 2028.

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