Depuis le 26 juillet, le Niger traverse une instabilité politique et économique dont nul ne peut deviner l’issue, pour l’heure. Cette situation critique fait suite au coup d’Etat perpétré par des militaires, tombeurs du tout dernier président élu du pays à date, Mohamed Bazoum, détenu depuis lors près du palais présidentiel à Niamey.
Réunis au State House d’Abuja, dans la capitale nigériane quelques jours après ce coup de force, des dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedéao), à l’initiative du Président Bola Tinubu, récemment élu à la tête de cette organisation, peu après son accession à la magistrature suprême, ont adopté une batterie de sanctions contre l’Etat membre qu’est le Niger.
Les pays représentés au sommet extraordinaire d’Abuja ont voulu, ce faisant, marquer leur désapprobation du putsch militaire et mettre la pression sur les nouvelles autorités militaires du Niger, sommées de respecter l’ordre constitutionnel.
Les sanctions vont de la fermeture des frontières terrestres et aériennes de tous les Etats membres à l’interruption des transactions financières avec le Niger, en passant par le gel des avoirs du pays, l’interdiction des vols commerciaux, la suppression de l’aide, l’interdiction de voyage pour les officiers militaires impliqués dans le putsch, et le gel de leurs avoirs personnels.
Le Niger est un pays continental, un pays enclavé. Donc, lorsqu’on dit qu’il y a embargo, fermeture des frontière terrestre, fermeture des frontières aériennes, c’est extrêmement difficile pour les populations. Et lorsque cela s’accompagne de sanctions financières, dans un pays qui a déjà une situation financière fragile, vous pouvez comprendre le désastre que cette situation pourrait provoquer,
a déclaré l’ex-Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou, en déplacement à l’étranger au moment du coup d’Etat dans son pays.
Les sanctions de la Cedéao interviennent à un moment crucial de la coopération entre le Niger et certains pays voisins, notamment le Bénin, qui a largement marqué son adhésion aux résolutions d’Abuja. Or la mise en œuvre desdites sanctions par le Bénin serait très lourde de conséquences pour les deux pays, mais plus encore pour le Niger.
En effet, les deux pays ont densifié leur intégration ces dernières années à travers des projets d’infrastructures stratégiques et profitables à tous les deux. Illustration : en mars dernier, soit tout juste quatre mois avant le coup d’Etat du 26 juillet, le ministre nigérien du Pétrole, Mahamane Sani Mahamadou, et son homologue béninois de l’Eau et des Mines, Samou Seidou Adambi, ont effectué une visite sur le site pétrolier d’Agadem situé dans la région de Diffa, au sud-ouest du Niger.
Manne pétrolière : 200 000 barils/jour en 2026, grâce aux retombées du pipeline Niger-Bénin
Le gisement de puits pétroliers d’Agadem est la station de départ du pipeline pétrolier, côté Niger. Long de 2000 km, dont 1250 km en territoire nigérien, cette infrastructure commerciale est cruciale pour le Niger en l’occurrence.
Car toute la production du brut de ce pays sahélien et désertique devrait transiter par cet oléoduc en chantier, pour ensuite être exportée depuis le port pétrolier, minéralier et commercial en eaux profondes de Sèmè-Podji, au Bénin, d’après des informations rapportées en mars par le site d’information officiel du ministère nigérien du pétrole.
A la fin des visites, les deux ministres se sont dits satisfaits de l’état d’avancement des travaux dont le taux de réalisation est de 75%,
soulignait le site, au soir de la visite des autorités des deux pays à Agadem. Les autorités nigériennes avaient finalement penché en faveur du Bénin, après avoir envisagé un moment l’option du port de Kribi, au Cameroun, en transitant par le Tchad.
Lancés en 2019, les travaux de la construction du pipeline Niger-Bénin n’ont pas été livrés avant la fin 2022 comme initialement planifié. En cause, la pandémie de la Covid 19. En raison de cette crise sanitaire qui a affecté le continent africain dès mars 2020, l’entreprise chinoise West African Oil Pipeline Company (Wapco), à qui incombe leur exécution, a dû interrompre le chantier pendant plusieurs mois. D’après le calendrier initial, la mise en service de l’oléoduc devait être effective depuis le mois dernier.
Toutefois, en mars 2023, les travaux étaient exécutés à 75%. Au moment du passage de nos confrères de l’AFP, un an plus tôt, 600 kilomètres de tuyaux de pipeline avaient déjà été posés, d’après Nafiou Issaka, le directeur général adjoint de la Wapco, qui n’est autre que le maître d’ouvrage du projet et la filiale de la CNPC.
Deux milliards de réserves de barils de pétrole
Sur une enveloppe globale de six milliards de dollars à investir dans le secteur pétrolier nigérien, 2,3 milliards de dollars sont alloués à la construction du pipeline reliant le Niger et le Bénin, un ouvrage présenté comme « le plus grand oléoduc au monde » au regard de sa longueur.
En outre, 4 milliards de dollars seront utilisés pour le développement des champs pétroliers selon des sources gouvernementales.
C’est le plus gros investissement du Niger depuis son indépendance (en 1960),
se réjouissait en 2022 le directeur des Hydrocarbures au ministère nigérien du Pétrole, Kabirou Zakari, interrogé par l’AFP. La mise en service de l’oléoduc devrait, dès 2023, porter la production journalière du pays à 110 000 barils, dont 90 000 seront destinés à l’exportation, selon les prévisions du gouvernement.
En 2026, la production devrait augmenter et atteindre jusqu’à 200 000 barils par jour. Pour des réserves estimées à deux milliards de barils.
L’or noir devrait dès lors « générer le quart du PIB du pays » (estimé à plus de 13,6 milliards de francs CFA en 2020 selon la Banque mondiale) et « à peu près 50% des recettes fiscales du Niger », contre respectivement 4% et 19% actuellement d’après Kabirou Zakari. Pour le moment, les usines de la Société de raffinage de Zinder (Soraz) ne raffinent quotidiennement que 20 000 barils de pétrole brut extrait par l’entité chinoise CNPC.
Depuis le début de l’exploitation du pétrole nigérien, en 2011, les bonnes nouvelles s’enchaînent. L’année dernière, la Sonatrach, un groupe public algérien, a annoncé avoir fait une « découverte encourageante » de pétrole à Kafra au nord du pays.
Cette localité d’une superficie de 23.737 km2, frontalière de l’Algérie, se trouve à proximité du bassin pétrolier algérien de Tafassasset, exploité par la Sonatrach. Pour sa part, la compagnie britannique Savannah Petroleum annonçait la découverte de nouveaux gisements de pétrole dans le bassin de l’Agadem, où les Chinois sont actifs.
Toutefois, la prolifération des produits issus de la contrebande en provenance du Nigéria voisin, représente une menace à la rentabilisation efficiente du secteur pétrolier nigérien. Ainsi, selon la Douane nigérienne, les abonnés du marché noir peuvent se procurer le litre d’essence à 300 francs CFA (0,4 euro) dans le circuit de la contrebande contre 540 F CFA (0,8 euro) à la pompe.
Le phénomène a pris une telle ampleur que le président déchu, Mohamed Bazoum, s’adressant il y a quelques mois aux forces de sécurité dans la grande ville de Dosso, au sud-ouest voisin du Nigéria, a tiré la sonnette d’alarme et promis de « trouver une bonne réponse » pour couper le ravitaillement des « terroristes » en carburant vendu dans le marché noir.
Le Niger a pourtant misé sur le pétrole pour parer à la chute des cours de l’uranium sur le marché, au plus fort des mesures anti-nucléaires préconisées par certains Etats, au lendemain de la catastrophe de Fukushima (Japon), en 2011.
L’or, le charbon pour diversifier l’agriculture et limiter la dépendance vis-à-vis de l’uranium
Le sous-sol du Niger est gorgé de ressources minières. Outre l’uranium et le pétrole, le pays regorge l’or, le gaz, le phosphate, le charbon, le cuivre, le molybdène, le zinc et le fer. Le ciment existe aussi à côté de nombre d’autres métaux précieux.
En 2021, un nouveau gisement d’or avait été découvert à Kwandago, une localité située dans le département de Madarounfa (région de Maradi), au sud du pays.
Ces gisements s’ajoutaient à ceux de Djado, découverts en 2014 dans la région d’Agadez, au nord-est du Niger. Mais le secteur d’activité qui produit le plus de revenus demeure l’agriculture. Elle représente plus de 40% du PIB du pays qui, au cours des premières décennies après son indépendance, n’a pas diversifié son économie.
Les 23 millions d’habitants du pays vivent majoritairement dans le sud et l’ouest, propices à cette activité. 80% de la population en tire leur source de revenu. Ils cultivent le sorgho, le manioc, le riz, des légumes, et bien d’autres cultures vivrières.
Le pays produit également le sucre et est classé 1er producteur mondial du millet par habitant. Les principales cultures d’exportation sont le coton, le dolic, et les arachides. Parmi les matières premières agricoles, l’on énumère les oléagineux (maïs, soja, avoine, riz), le bétail (bovins, porcs, volaille), les produits laitiers (lait, beurre, petit-lait), le bois d’œuvre, les textiles (coton, laine) et les denrées douces (cacao, café et sucre).
Mais, en dépit de cet énorme potentiel, le niveau de pauvreté du pays demeure alarmant et s’élève à 41,8% en 2021. Le fléau touche désormais plus de 10 millions de Nigériens. Ces indicateurs classent le pays 10ème rang dans la Cedéao.