En Afrique, le Maroc compte parmi les destinations gastronomiques les plus prisées des touristes. Situé en Afrique du Nord, l’art culinaire est devenu l’un des attraits de ce pays qui a été déclaré, en 2015, deuxième pays pour sa gastronomie par le site britannique Worldsim.com, qui recueille les avis de voyageurs, à en croire le rapport.
D’aucuns vantent la variété des plats, qui proviennent de plusieurs horizons et d’influences diverses. La cuisine marocaine a en effet subi de multiples influences à l’instar de la cuisine arabe, où certaines recettes remonteraient à l’époque des Abbassides, la cuisine berbère pour le couscous en particulier, ou encore la cuisine morisque pour les ragouts, tajines et le mélange sucré-salé.
On note également une influence des cuisines d’Afrique subsaharienne, juive et des cultures culinaires venant de pays d’Asie du sud comme l’Inde. Cette cuisine reflète en réalité l’histoire complexe du pays et des différentes populations qui y ont vécu, une multitude d’influences qui ont donné naissance à une cuisine extrêmement riche et à des plats de grande réputation.
La cuisine marocaine se caractérise ainsi par une très grande diversité de plats tels que le couscous, innombrables tajines, pastilla, méchoui, pour les plus connus, mais aussi bien d’autres plats souvent connus des seuls Marocains comme le tajine mrouzia, la tangia marrakchie, la harira (soupe de la rupture du jeûne du ramadan), le baddaz, la tagoula (bouillie de farine d’orge), la seffa.
Notons qu’il existe aussi beaucoup de recettes régionales et chaque lieu dispose de sa variété de menthe et de mélange de plantes aromatiques pour préparer le thé. La pâtisserie marocaine quant à elle, est également très variée, avec autant d’atouts qui viennent enrichir les traditions culinaires marocaines.
Outre le Maroc, plusieurs autres pays africains regorgent également d’un potentiel culinaire diversifié, c’est le cas du poivre blanc de Penja (Cameroun), du miel de Casamance (Sénégal), du violet de Galmi (Niger), du Riz de Kovié (Togo), et bien d’autres encore. Toutefois, une question se pose à savoir comment protéger les éléments de cette gastronomie unique, patrimoniale, jusqu’à présent restés dans le domaine de l’intime, sublimé dans les restaurants illustres ou les médias par de grands chefs nationaux ou internationaux ?
En effet, est-ce que les outils de propriété intellectuelle sont susceptibles de pouvoir protéger, transmettre ces savoirs, ces recettes, ces gestes ? Est-ce que la propriété intellectuelle pourrait contribuer à la valorisation et la labellisation du patrimoine gastronomique africain et ses composantes (produits, producteurs, chefs, restaurants etc…) et contribuer à des dynamiques territoriales ?
La préservation du patrimoine culturel
D’après les études menées par l’initiative « Biotrade » de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (Cnuced), les Indications Géographiques (Ig), plus que tout autre instrument de propriété intellectuelle, permettent une utilisation et une gestion des ressources biologiques et des savoirs traditionnels plus adaptées aux coutumes des communautés indigènes.
Par ailleurs, il y a lieu de souligner que certains pays de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi) sont confrontés au défi de la désertification créée par cet abandon progressif des cultures dont certaines favorisent la préservation des sols.
L’Ig est un outil d’identification pour la reconnaissance nationale et internationale de l’héritage et de l’art culinaire des populations rurales. Même lorsque le marché est restreint, éviter l’usurpation de noms renvoyant à leur histoire et leur patrimoine est devenu un enjeu dans le cadre des négociations internationales.
Le riz de Kovié (Togo)
Le riz de Kovié correspond à un riz au goût tendre et naturellement parfumé ne prenant pas beaucoup d’eau à la cuisson. Il est produit à Kovié, un canton de la Préfecture de Zio dans la région Maritime du Togo. Ce riz tire aussi sa typicité de ce qu’il est transformé et conditionné de manière artisanale. L’origine du riz est déjà utilisée comme argument de vente par les commerçantes de ce produit. D’ailleurs, une enquête menée par Dr Emmanuel Koffi Glé en
2009 révèle que 34% des consommateurs qui recourent à un approvisionnement direct dans la zone de production veulent s’assurer qu’il s’agit bien du riz de Kovié alors que 26% en recherchent la fraîcheur. Ceci porte à 68% le nombre de consommateurs associant le riz de Kovié à une qualité particulière. Le déplacement des consommateurs éclairés laisse clairement entendre qu’en zones urbaines, des tiers tentent de tirer profit de la dénomination
« Kovié ». Selon la même étude, 27% des 41 producteurs de riz de Kovié interrogés affirment craindre l’usurpation de leur dénomination et par ricochet de leurs parts de marché. L’Indication géographique permettrait aussi de faire le contrepoids à la concurrence du riz asiatique. Pour cela, il reste à délimiter précisément la zone de production etconstruire un cahier des charges qui comprendra les normes de production et de contrôle de la traçabilité.
En effet, aujourd’hui, la crédibilité du système repose exclusivement sur des relations informelles donc marquées par une certaine fragilité. 92% des enquêtés souhaitent que leur riz soit protégé pour sa qualité, et contre les usurpations de noms et tromperies des consommateurs afin de ne pas perdre la réputation qui y est associée. L’accompagnement des producteurs dans une démarche de labellisation de la qualité de leur produit par une indication géographique apparait comme une condition de survie de la filière.
Mangues kent des savanes (Côte d’Ivoire)
Les producteurs de mangue kent de Côte d’Ivoire ont mis sur pied une coopérative qui va désormais défendre leurs intérêts. Avec une production de plus de 100 000 tonnes par an sur plus de 20 000 ha, la Côte d’Ivoire se place au 2ème rang en tant que fournisseur du marché européen derrière le Brésil et avant l’Afrique du Sud. Environ 60 % des exportations sont destinées à la France.
Les exportations procurent tous les ans environ 1 milliard de Fcfa aux producteurs de mangues. La réflexion sur la valorisation de la mangue est menée au moment où les exportateurs de mangues sont confrontés au défi de l’accès au marché européen, celui-ci est conditionné par le respect des normes européennes d’exportations exigeant un certain degré de traçabilité liée au degré de périssabilité, au conditionnement de la mangue.
La noix de cajou (Côte d’Ivoire)
Aujourd’hui, la noix de cajou du nord de la Côte d’Ivoire est jugée en-dessous de ses potentialités. Si en termes de marché, la Côte d’Ivoire enregistre une croissance de 10% de la demande en noix de cajou depuis quelques années, son potentiel est menacé de manque de débouchés à moyen ou long terme. Pour des raisons de sécurité sanitaire, l’Union Européenne a décidé de n’ouvrir son marché qu’aux noix dont l’origine est spécifiée sur l’emballage.
Aussi, l’origine étant a priori un des facteurs clés d’achat de la noix de cajou, l’engagement sur la démarche Indication géographique présente un intérêt stratégique fort. Le commerce annuel mondial de la noix de cajou est d’environ 175 000 tonnes (période 1961-2004) en quantité, et 100 millions de dollars en valeur, soit une moyenne du prix des exportations de 571 dollars US la tonne.
Le marché d’achat de l’amande repose sur les catégories exportables selon 26 calibres établies par les transformateurs en Inde et au Brésil. L’Emballage des noix se fait en sacs 50 Kg (ou 80 Kg) et les amandes dans des boîtes en fer blanc de 25 Lb dont 2 boîtes par carton, selon le rapport 2012 de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao).
Labellisation de produits locaux et de terroir
Si la labellisation représente généralement une plus-value pour les producteurs et transformateurs, son coût important pèse sur la rentabilité, notamment lorsque se pose la question des emballages. Lorsque les consommateurs savent reconnaître un produit de qualité sur les marchés de proximité, la labellisation ajoute des charges alors que la confiance est déjà établie.
Les résultats de l’étude menée par Oadel et Acting for life au Togo le confirment, puisque certains consommateurs préfèrent acheter en vrac pour estimer la qualité des produits. De ce fait, la labellisation devient utile lorsque les liens se distendent, quand producteurs et consommateurs ne se fréquentent pas. Dès lors, il peut être nécessaire de rassurer les détaillants et les consommateurs sur l’origine et la qualité pour atteindre le marché des grandes villes.
La mise en place d’un cahier des charges tire vers le haut les pratiques de l’ensemble de la filière. Les organismes de productions sont unanimes avant d’entreprendre toute démarche de labellisation, il est crucial de déterminer les marchés visés, le conditionnement du produit et le type de labellisation recherché en dépendront. Les efforts d’identification des produits locaux doivent être accompagnés d’une sensibilisation des consommateurs et ne peuvent se passer d’un cadre politique favorable au consommer local.
Les indications géographiques ne sont pas utilisées uniquement pour les produits agricoles. Elles peuvent aussi mettre en valeur des qualités particulière d’un produit, dues à des facteurs humains propres au lieu d’origine des produits, tels qu’un savoir-faire précis ou certaines traditions. Ce lieu d’origine peut être un village ou une ville, une région ou un pays.
Les Indications géographiques africaines
L’année 2013 est marquée par les trois premières Indications géographiques africaines.
Il s’agit du miel d’Oku et du poivre de Penja (Cameroun), du café Ziama Macenta (Guinée). Il faut remarquer tout de suite que ces produits sont des produits fortement orientés à l’exportation pour obtenir la valeur ajoutée possible grâce à l’Ig. Ce sont également de petites productions sur des terroirs limités.
À noter que ces trois produits portent un nom géographique derrière le nom du produit et ont une qualité particulière liée au terroir et aux savoir-faire locaux. In fine, ces produits ont une réputation et sont payés plus cher que les produits ordinaires.
Par rapport au café Ziama Macenta (première indication géographique protégée-IGP en Afrique de l’Ouest), quelques avantages ont été constatés. Nous avons de ce fait la certification Symbole des producteurs paysans (Spp) donnant la possibilité de vendre le café avec une prime à la qualité de 400 dollars/tonne de café marchand.
(Depuis 2015, le café Ziama est vendu à l’export à 1 700 – 1 900 dollars la tonne + la prime de 400 dollars) contre 842 dollars prix de la tonne dans la zone de production en Guinée. En plus, une prime à la qualité est aussi accordée par le client importateur qu’est « Jobin » si la qualité répond bien au cahier de charges. La labellisation a permis d’obtenir un crédit en ligne sur Bluebees (20 000 euros empruntés et remboursés par la coopérative Woko des producteurs de café).
Ce crédit a été suivi d’un autre prêt accordé par la Sidi de plus de 60 000 euros à la coopérative Woko. Les principaux défis sont au niveau de la transformation locale du café grain en café moulu ainsi que le manque d’emballage approprié pour la commercialisation du café moulu avec une bonne présentation. La coopérative voudrait à ce jour, vendre du café grain à l’export et le café moulu localement.
C’est ce qui ressort des propos de Kerfalla Camara, Maison guinéenne de l’entrepreneur (Mge) Discussion n°6 – contributions, 13/02/2018, du Comité Français pour la Solidarité Internationale Page 16.
La panification des céréales locales au Togo
L’Organisation pour l’alimentation et le développement local (Oadel) au Togo a obtenu en 2019 la signature d’un arrêté interministériel imposant l’incorporation de 15 à 50 % de céréales locales dans le « pain français » et produits similaires. Aubin Waibena, alors chargé du programme Éducation à la nutrition et au droit à l’alimentation chez Oadel, avait rappelé que
le pain occupe une place importante dans l’alimentation des Togolais. Or le blé n’est pas produit dans notre pays, nous devons l’importer. Cet arrêté était nécessaire pour des raisons économiques mais aussi nutritionnelles.
Grâce aux farines de soja, sorgho et manioc, etc. on peut obtenir en effet un pain plus nutritif pour des populations souvent carencées en micronutriments. Pour que cette obligation puisse être respectée, l’Oadel a déjà formé des centaines de boulangères et boulangers.
La richesse de l’art culinaire africain, le cas du Ndolè
Considéré comme « le plat national du Cameroun selon plusieurs sources, le ndolé s’avère selon toute vraisemblance être le plat emblématique du Cameroun. En témoignent les nombreux titres élogieux qui l’érigent en ambassadeur du pays. Il se trouve que ce plat est parvenu à s’imposer dans ce pays multiethnique aux spécialités culinaires diverses pour en devenir l’emblème.
Depuis quelques décennies, il s’est exporté et s’affiche sur les cartes de restaurants par le monde. À Paris, par exemple, la Sénégalaise Fatou Sylla en a fait sa spécialité au Waly-Fay36. Selon Christian Abégan, ambassadeur de la gastronomie camerounaise, la planète entière consomme du Ndolè. À l’occasion de manifestations diverses, il le présente autant à Paris qu’à Londres, Monaco ou au Japon, l’idée étant de le populariser en l’adaptant grâce à des produits de substitution.
Cependant, la délicatesse de la conservation du Ndolè appelle pour des innovations qui pourraient se conjuguer avec le tourisme gastronomique. Toutefois, des pistes de réflexions potentielles autour de la propriété intellectuelle sont élaborées.
S’il est connu au Bénin (Amanvivè), au Togo (Aloma), bitter leaf (dans plusieurs pays anglophones dont le Nigéria) seul le Cameroun lui associe viande, crustacés et arachide, et exhale la magie d’un plat où s’entremêlent saveurs sucrées, salées et amères. Il y a donc une identité au nom « Ndolè » qui ne constitue pas simplement une façon d’appeler un type de sauce aux épinards.
Connu pour ses vertus médicinales, le Ndolè intervient déjà dans la composition d’un médicament pour le diabète ayant fait l’objet d’une demande de brevet à l’OAPI en 2011 par Monsieur Luc Kaldjob et accordé en 2017. Ainsi, le Ndolè au Cameroun contiendrait une substance qui permet de lutter contre le cancer. Le Vernonia amygdalin qui est la ressource génétique associée au Ndolè, entre dans la composition de plusieurs demandes de brevet dont l’une déposée en 2002 par Ernest B. Izevbigie.
Cette plante assez unique peut pourtant être remplacée pour obtenir un goût similaire au Ndolè authentique. Selon Christian Abégan, en Occident, la feuille de vernonia peut être remplacée par la blette qui donne l’illusion de la saveur originelle.
C’est une alchimie difficile à exécuter, mais on y parvient.
Peut-on réserver le nom Ndolè qu’aux plats préparés avec d’authentiques feuilles de Ndolè ?
Une réflexion semble exister sur l’inscription de ce plat au patrimoine immatériel de l’Unesco. Outre Ndolé dans la région du Littoral au Cameroun, l’on a également d’autres produits culinaires tels que le Nkui et la Topsi banana à l’Ouest, le Nnam ewondo(mets d’arachides), le Kpwem (feuilles de manioc) au Centre et d’autres plats encore dans les autres régions du pays.
Toutefois, certains de ces produits du terroir jouissent d’un potentiel pour les indications géographiques à l’instar de l’avocat de Mbouda, du riz de Tonga, des échalotes de la Lekié, et du Killichi de Ngaoundéré. De ce fait, d’autres plats comme le met de pistache, le « Mintoumba » etc. font l’objet d’une démarche de protection par des marques commerciales et collectives destinée à valoriser ces derniers à la recette traditionnelle d’après l’Étude exploratoire des principales traditions culinaires existantes au Cameroun, menée par le Dr Monique Bagal en Décembre 2021.