Dopé par l’émergence de classes sociales aisées, le marché du luxe, dont fait partie la joaillerie et autres pèse 5,9 milliards de dollars par an et progresse de 10% en moyenne annuelle en Afrique. De quoi allécher les grandes marques internationales qui se ruent sur le continent pour combler les envies de faste d’une clientèle exigeante et dépensière.
Selon une étude d’«Africa Wealth Report», publiée par le cabinet de recherche britannique New World Wealth et AfrAsia Bank, le marché africain du luxe a dégagé un chiffre d’affaires de 5,9 milliards de dollars en 2016. Avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de dollars, l’Afrique du Sud domine ce marché. Le pays le plus industrialisé du continent est talonné par le Kenya (500 millions de dollars) et le Nigeria (400 millions).
Avec un chiffre d’affaires de 200 millions de dollars généré par l’industrie du luxe, l’Angola arrive au 4è rang, ex-æquo avec le Maroc, l’Egypte et le Ghana. D’après les calculs du cabinet New World Wealth, les grandes fortunes africaines ont flambé environ 8,8 milliards de dollars dans des objets de collection au cours de la dernière décennie.
Ces objets de collection incluent des œuvres d’art, des vins, des voitures classiques, des antiquités, des bijoux et aussi des montres de luxe. A la fin 2016, la valeur totale des ventes des montres de luxe sur le continent a atteint 46 millions de dollars, tandis que la valeur globale des œuvres d’art détenues par ultra-riches africains dépassait les 870 millions de dollars.
Selon une étude faite par Euromonitor, entre 2008 et 2013, les ventes dans le secteur du luxe ont augmenté de 35% et devraient encore augmenter de 33% lors des cinq prochaines années. L’Afrique subsaharienne est tout simplement la seconde économie mondiale en termes de rapidité de croissance.
Les marques doivent surmonter les défis imposés par les marchés, Africains par le biais notamment de recherche minutieuse de fournisseurs, l’utilisation de partenaires locaux, et une très bonne compréhension des exigences des consommateurs et du reste de l’environnement social. Le Maroc et l’Afrique du Sud détiennent deux tiers du marché du luxe sur le continent noir.
Le développement des classes moyennes et supérieures favorise des dépenses tournées vers l’automobile de luxe et le champagne qui est consommé deux fois plus par habitant en Afrique du Sud qu’au Brésil. La part des pays émergents ne cesse de croître et représente environ 28 % du marché du luxe en 2015 contre 20% en 2008.
Une population de fortunés en plein boom en Afrique
En termes de tendance économique, l’industrie du luxe a toujours fait bande à part, puisque sa clientèle cible n’est généralement pas rattrapée par la morosité de la conjoncture. Sur le continent africain, l’expansion de ce marché est en effet tirée par l’émergence d’une classe moyenne supérieure férue de produits de luxe.
Et surtout par la hausse continue de la population des High-net-worth individual (HNWI), autrement dit, les personnes détenant un patrimoine d’au moins un million de dollars, hors résidence principale. L’Afrique comptait à fin 2016 quelque 145 000 individus HNWI, détenant une fortune cumulée de 800 milliards de dollars. Ce chiffre devrait atteindre 254 000 en 2024, ce qui contribuera à favoriser une croissance annuelle moyenne de 10% du marché du luxe à cet horizon, selon Ecofin.
Le continent africain entre dans le club des régions du monde les plus stratégiques pour la vente d’objet de luxe. Cela s’explique notamment par la croissance de la classe moyenne, l’augmentation des revenus, le développement de l’urbanisation et une présence accrue de millionnaires sur le continent,
explique Stéphane Truchi, spécialiste du luxe et président du Directoire de l’Institut français d’opinion publique (Ifop), une entreprise de sondages d’opinion et d’études marketing. C’est cet énorme potentiel qui a incité Coralie Omgba, à lancer en 2016, la Conférence internationale sur le luxe en Afrique, dont la troisième édition s’est tenue à Genève.
Cet événement, premier du genre, réunit chaque année, experts, investisseurs et représentants des grandes marques de luxe, comme la maison de haute joaillerie Cartier, la prestigieuse maison de champagne Perrier-Jouët & Cie, et l’entreprise horlogère suisse Bucherer.
Alors que l’Afrique n’est pas un continent spontanément et intuitivement associé au luxe, des grandes marques du secteur telles que Louis Vuitton, Zegna, Gucci, Ralph Lauren, Burberry, Carter Fendi ou encore Salvatore Ferragamo s’y sont pourtant d’ores et déjà implantées.
Et y anticipent un avenir prometteur. Une étude réalisée par Bain & Company démontre que la classe moyenne en Afrique qui est en constante croissance aime et consomme des produits de luxe. En effet, d’après cette étude, les ventes ont augmenté de 11% en 2014, ce qui marque un fort potentiel pour ce continent pas forcement autant médiatisé que d’autres. De plus selon cette étude, le revenu total des marques de luxe serait de 2 milliards d’euros en 2014.
L’essor de ce secteur est également dû à la croissance du nombre « d’ultra riches » en 2008 où nous en comptions 946 000 contre 140 0000 en 2012. Cette hausse est complétée et renforcée par le poids d’une modernisation économique et d’une urbanisation rapide, qui permettent de décupler le potentiel consumériste du continent. Les produits de luxe les plus consommés par les Africains sont les parfums, les vêtements, les accessoires, les cosmétiques et les boissons de luxe.
Ainsi selon Jane Birkin, directrice marketing chez Diageo Africa Spirits, la vente de spiritueux internationaux premium a représenté sur le continent 40% de sa croissance et 25% de ses ventes nettes, soit 350 millions de livres sterling en 2012. Cette dernière souligne que la croissance de cette catégorie de produits a été de 32% en 2012. Et elle ajoute
Nous estimons qu’en Afrique la croissance de nos brand reverse [spiritueux de luxe, NDLR] sera plus rapide que celles de nos marques premium et mainstream.
Dans ce contexte, l’Afrique apparait comme un marché intéressant et prometteur. Du point de vue de Diageo, qui emploie 6 300 personnes en Afrique, comme pour d’autres acteurs, les villes les plus attractives pour l’industrie du luxe sont Johannesburg, Le Cap, Durban, Lagos, Nairobi, le Caire, Marrakech et Accra, voire Luanda et Abidjan.
Les grandes enseignes internationales débarquent
Les Africains dépensent encore près de 80% de leur budget réservé au luxe à l’étranger et contribuent ainsi à la croissance des points de vente en Europe et aux Etats-Unis. Au Royaume-Uni, les Nigérians figurent dans le Top 5 des acheteurs des produits détaxés. Mais cela est en train de changer progressivement, avec l’arrivée des grandes marques de luxe sur le continent.
Selon une étude publiée par le cabinet de recherche, plus de 50 marques spécialisées dans l’industrie de luxe sont déjà implantées en Afrique. Le groupe Moët Hennessy Louis Vuitton (LVMH), seul acteur présent simultanément dans cinq secteurs majeurs du luxe (vins & spiritueux, mode & maroquinerie, parfums & cosmétiques, montres & joaillerie et distribution sélective), et le groupe Richemont, qui détient notamment les marques Cartier, Alfred Dunhill et Chloé, contrôlent cependant 60% des points de vente spécialisés dans les produits de luxe sur le continent.
Le cabinet New World Wealth a, quant à lui, recensé 13 marques de prêt-à-porter de luxe qui ont planté leurs fanions sur le continent, dont la prestigieuse enseigne italienne Ermenegildo Zegna (Egypte, Maroc, Nigeria, Afrique du Sud) et la célèbre griffe française Louis Vuitton (Afrique du Sud, Maroc).
Les marques locales s’inspirent d’un héritage ancestral
Alors que les enseignes occidentales s’aventurent de plus en plus sur le continent à la recherche de nouveaux relais de croissance, des marques africaines ont réussi à creuser leur sillon dans l’univers impitoyable de l’industrie du luxe, en s’inspirant des traditions locales.
Ainsi, la Bissau-Guinéenne Vania Leles a créé l’enseigne de joaillerie Vanleles Diamonds à Londres, en s’inspirant des bijoux royaux ancestraux d’une quinzaine de pays d’Afrique subsaharienne qu’elle a visités. Ses plus célèbres collections s’appellent d’ailleurs «Legends Of Africa» et «Discover the Sahara».
Le styliste sud-africain Laduma Ngxokolo a fait une entrée fracassante sur la scène du prêt-à-porter de luxe mondial depuis 2010, en lançant sa marque MaXhosa by Laduma, dont les motifs colorés sont directement inspirés des dessins de l’ethnie Xhosa, la deuxième plus grande ethnie d’Afrique du Sud, après celle des Zoulous.
Pour chaque collection, qui porte un nom Xhosa, ces motifs sont reproduits sur des pulls, des gilets, des étoles ou encore des écharpes à base de laine mérinos, mohair et autres matières locales. L’on cite également, le magasin de luxe londonien Harrods qui accueille, quant à lui, une boutique d’Epara Skincare, une marque de produits cosmétiques lancée par le nigériane Ozohu Adoh.
La base des produits développés par cette marque sont des ingrédients botaniques africains tels que l’huile d’argan, le beurre de karité et l’extrait de racine de réglisse. Lancée en 2012 par la Franco-Ivoirienne Swaady Martin-Leke, la maison Yswara propose des thés de luxe comportant notamment des ingrédients originaux comme l’igname, la carotte, le safran, et la noix de Kola.
Cette marque compte déjà des points de vente en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, au Nigeria et en France. Désormais surnommée « la princesse du luxe en Afrique », Coralie Omgba, pense que les marques africaines vont jouer des coudes avec les prestigieuses enseignes internationales durant les prochaines années.
Il y aura vraiment un chassé-croisé entre les marques internationales et les marques locales. Le nouveau consommateur Africain est décomplexé, globe-trotter et ultra-connecté, et en même temps proche de ses racines. Le luxe africain s’inscrit ainsi dans une logique d’interconnexion à la fois régionale, continentale et mondiale,
souligne l’experte.
Le continent des nouvelles opportunités
Qu’il s’agisse de voyage, de mode, de joaillerie, de vins et spiritueux ou de tout autre type de produits de luxe, l’Afrique a le vent en poupe. Si les chiffres exacts du marché varient d’un organisme à l’autre, une grande majorité parle d’environ 4 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, tandis que le New Wealth World comptabilise 5,6 milliards de dollars en 2016, toutes les études menées jusqu’ici s’accordent sur la réalité du potentiel de développement du luxe sur le continent.
L’Afrique est en train d’entrer dans le club des régions les plus stratégiques au monde pour la vente de biens de luxe, offrant aux marques de nouvelles opportunités d’expansion,
indiquait Stéphane Truchi, président de l’Ifop et expert du marché du luxe, lors de la sortie en décembre 2017 du livre sur les tendances en Afrique de la vente et marketing de luxe menée par InCapsule. Ces certitudes sont fondées non seulement sur la croissance démographique régionale, mais aussi la hausse attendue des revenus sur fond de croissance économique galopante, le développement de l’urbanisation.
Et aussi l’émergence d’une classe moyenne de plus en plus amatrice de luxe, et surtout l’augmentation de la population des High-net-worth individual (HNWI), les personnes très riches. Leur nombre a en effet grimpé de 8,1 % en 2016 à 157 200 individus, pour une fortune cumulée en hausse de 10,7 % à 1 500 milliards de dollars, selon le World Wealth Report de Capgemini. Des données qui devraient surfer sur un trend haussier à l’avenir.
Plusieurs marques internationales s’offrent déjà l’avant-goût d’un marché africain prometteur, à l’instar du joaillier français Cartier. Présent depuis plus de 30 ans et actif aujourd’hui dans 20 pays via son horlogerie, sa parfumerie et ses lunettes distribués dans des points de vente multimarques, le groupe détient deux boutiques implantées au Maroc en 2004 et en Afrique du Sud en 2007. En décembre 2016, Cartier a renouvelé sa présence dans le royaume chérifien en ouvrant son plus grand magasin africain à Casablanca.
Pour notre Maison, c’est l’un des pays les plus importants du Continent avec l’Afrique du Sud,
indiquait à La Tribune Afrique Alessandro Patti, directeur général de Cartier Afrique. Ces deux pays, devenus de véritables hubs pour les marques qui pensent « Afrique », font justement partie des marchés les plus matures du continent en termes de consommation du luxe. Pour preuve, le Sandton City à Johannesburg et le Morocco Mall à Casablanca sont de véritables foyers de marques internationales haut de gamme et de luxe.
Le New Wealth World met dans cette catégorie également le Kenya, porté par le tourisme de luxe avec tout ce qui est Safari et autres, le Nigeria, pour son importante population de HNWI très friande de luxe, l’Egypte, le Maroc, le Ghana, ou encore l’Angola.
Certaines marques pensent de plus en plus à s’implanter directement au Kenya et en Angola,
confie dans un entretien avec La Tribune Afrique, Simon Nyeck, professeur titulaire de la Chaire de management des savoir-faire d’exception et directeur du Centre d’excellence luxe, art et culture à Essec Business School.
Il y a une poche de gens très riches en Angola et il faut savoir que le plus gros client au monde d’Harrods à Londres est un Dos Santos,
explique cet enseignant qui accompagne notamment les marques de luxe dans le développement de leur savoir-faire en fonction des modes de consommation contemporains.
A la conquête des fortunes internationales
Au-delà des marques internationales en effet, de plus en plus de jeunes entrepreneurs africains tentent de se creuser un sillon dans le luxe. Certains vont jusqu’à la conquête des fortunés du monde entier, à l’instar du Nigérian Alexander Amosu, devenu célèbre en customisant les accessoires des plus riches.
A Abidjan, c’est dans la conciergerie de luxe que s’est lancée Leaticia N’Cho Traoré, ex-miss Côte d’Ivoire, devenue serial entrepreneur. Sa société 3W -filiale du groupe Addict qu’elle a fondée et dirige, a pour clients les grandes entreprises, les banques, les états-majors et autres personnalités fortunées. Ici,
les services varient de la simple livraison de fleurs à la mise à disposition de jet privé et de voyages aux quatre coins du monde,
explique la businesswoman à La Tribune Afrique. Et elle ne rompt pas la règle d’or de la conciergerie de luxe :
Les services n’ont de limite que la loi des États et l’imagination de nos clients.
Si dans la conciergerie de luxe les entrepreneurs africains prennent plus ou moins rapidement leurs marques, la mode, la joaillerie et la bijouterie de luxe, de l’avis de Simon Nyeck, sont encore des chantiers à explorer, afin de valoriser « de façon plus moderne » le savoir-faire africain. « Surtout pour que ce savoir-faire puisse s’exporter à travers le monde », souligne-t-il. Jusqu’ici, les acteurs s’accordent sur les défis que représente le manque d’infrastructures adéquates ou encore l’instabilité socio-politique dans certains pays pour un plus grand essor du secteur du luxe. Chez des géants comme Cartier Afrique, on s’interdit toute négativité.
Nous considérons les contraintes non pas comme des limitations à notre expansion, mais comme des opportunités pour faire preuve de créativité et renforcer notre esprit pionnier,
confie Alessandro Patti. Cependant, pour accompagner l’engouement pour le continent, la formation s’avère être l’autre pièce manquante au puzzle. « Il faut des écoles qui forment les vendeurs du luxe », estime Simon Nyeck.
Je l’ai vu en Chine. Les marques sont présentes, mais les vendeurs ne sont pas au niveau de Chanel ou de Vuitton,
fait-il remarquer, tout en estimant que c’est une des conditions à remplir pour que s’élèvent en Afrique de plus en plus de champions du luxe !