Le leader incontesté en matière de production de l’énergie géothermique en Afrique demeure le Kenya. Septième producteur mondial, loin derrière des pionniers et mastodontes tels l’Islande et le Japon, le pays de l’Afrique de l’est bénéficie de sa position stratégique.
Situé le long de la vallée du rift est-africain, le sous-sol de ce territoire et de bien d’autres pays de la région est en permanence le théâtre d’une remontée de la chaleur surchauffée près de la surface, consécutive à l’éloignement ou au rapprochement de plaques tectoniques. La chaleur découlant de ce phénomène naturel est une source d’énergie non négligeable.
Un atout, voire une opportunité à saisir pour développer les infrastructures énergétiques et accroître l’offre en électricité. Le Kenya l’a compris depuis quelques années.
A Menengaï, une localité située au nord-ouest de Nairobi, un projet de développement géothermique a vu le jour. Fin novembre 2019, 49 puits étaient déjà forés pour une capacité de 169,9 MW d’électricité. Pas si éloigné de l’idéal recherché par les autorités du pays, qui envisageaient alors d’en forer une cinquantaine pour générer plus de chaleur, et escomptaient en retour une production de 100 MW.
Cette capacité a largement été dépassée. La Banque africaine de développement (BAD) a déboursé une grande partie des financements, soit 108 millions de dollars. L’infrastructure énergétique fournit l’électricité aux entreprises et aux industries ainsi qu’à 500 000 ménages kenyans, dont 70 000 installés en zones rurales, et elle a permis au Kenya d’augmenter sa capacité nationale de 105 MW.
Une performance non négligeable dans ce pays de 50 millions d’habitants ayant une croissance oscillant entre 5 et 6%. Par ailleurs, le projet a fourni l’emploi à 600 personnes. C’est du moins ce qu’indiquait le rapport d’achèvement du projet publié le 6 octobre 2020.
L’objectif ultime du projet était de jouer un rôle essentiel en aidant le Kenya à surmonter la grave pénurie d’électricité due à la variabilité de la production d’hydroélectricité, qui avait obligé le pays à recourir à une production thermique de secours onéreuse de 2011 à 2012, et qui s’est poursuivie jusqu’en 2018,
pouvait-on lire dans ledit rapport conduit par Girma Mekuria, agent principal de l’Énergie à la BAD. A cause de la variabilité d’hydroélectricité évoquée par le rapport, due aux effets du changement climatique, le Kenya, pays situé en zone aride, a souffert de graves pénuries d’électricité vers la fin 2000.
23 sites au Kenya, pour un potentiel de 10 000 MW
La centrale de Ménengaï mais plus encore celle d’Olkaria ont permis au pays de surmonter ces écueils.
Nous subissons une forte sécheresse depuis trois ans et le pays n’a pas ressenti l’impact de la sécheresse en termes de production d’électricité grâce à la géothermie développée au Kenya,
affirmait pour sa part, en 2020, Cyrus Karingithi, chargé du développement de la ressource géothermique au sein de KenGen (Kenya Electricity Generating Company), en visite sur le site de la centrale d’Olkaria.
Cette dernière est située en bordure du parc national de Hell’s Gate, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Une énorme contrainte pour la réalisation de cette infrastructure pourtant salutaire. Du coup, le gouvernement kenyan a dû mobiliser de gros moyens pour déplacer 150 familles établies sur le site.
La centrale géothermique d’Olkaria a été construite grâce à des fonds alloués par le Japon à travers l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), dont les investissements sont chiffrés à 852 millions de dollars américains. Les cinq centrales géothermiques construites sur ce site, produisent environ 800 MW et permettent d’alimenter chaque année plus de quatre millions de foyers au pays de William Ruto.
La mise en service de ce projet a permis au Kenya de plus que tripler sa capacité, passant de 198 à près de 672 mégawatts (MW) en six ans. Elle a ainsi permis au Kenya de se hisser au sommet du classement de pays africains producteurs d’énergie géothermique.
La part de l’énergie verte dans la production nationale plafonne à 85%. En 2020, la signature d’une convention était annoncée en vue de la livraison par le Kenya, de l’énergie géothermique au Rwanda. Un projet similaire était en cours avec d’autres pays voisins tels que la Tanzanie et l’Éthiopie.
« Vision 2030 »
Les projets de développement géothermique d’Olkario et de Menengaï s’inscrivent dans le cadre de la « Vision 2030 », un plan de développement du secteur énergétique qui s’adosse sur le Plan de développement de l’électricité à moindre coût pour la période 2011-2031.
Lancé en 2011, ce plan qui visait l’accroissement de la capacité de production d’énergie du pays est mis à jour chaque année et se décline en plusieurs séquences exécutés sur le moyen terme. Ces projets ont permis au Kenya de passer 1 227 MW en 2010 à 3 751 MW en 2018.
Le 3ème Plan à moyen terme (PMT-III), qui couvrait la période 2018-2022, visait plus spécifiquement le développement industriel par la promotion du développement et de l’utilisation des sources d’énergies renouvelables dans l’optique de créer un système d’alimentation électrique fiable, rentable et de bonne qualité.
L’objectif initial de la « Vision 2030 » était de porter la capacité électrique du Kenya à 5 521 MW fin 2022.
La géothermie fournit une énergie disponible, fiable, pratique, économique et à prix compétitif. C’est la voie que nous voulons suivre aujourd’hui,
expliquait il y a quelques années le ministre de l’Energie, Joseph K. Njoroe, pour justifier les choix du gouvernement kenyan. Les champs géothermiques couvrent la moitié de la consommation du pays et le gouvernement envisageait une couverture de 100% des besoins en 2022. Le potentiel du pays est évalué à 10 000 MW, ce qui équivaut à dix réacteurs, note pour sa part Cyrus Karingithi, cadre à KenGen, approché par EuroNews.
Notre potentiel géothermique est de 10 000 MW sur 23 sites et ce que nous avons installé à ce jour ne concerne que deux sites à Olkaria et à Eburru (…) Nous avons donc un énorme potentiel qui n’est pas exploité. En fait, je ne crois pas que nous en ayons exploité ne serait-ce qu’1%.
De quoi réjouir les partenaires japonais du pays, et en l’occurrence Iwama Hajime, représentant en chef de la JICA au Kenya, cité par le même confrère. « De cette manière, les Kenyans peuvent utiliser leurs propres ressources, ils n’ont pas besoin d’importer de l’énergie (…) Le coût de l’énergie géothermique est très bas et c’est une énergie propre, qui ne génère pas d’émissions de CO2 »
L’Ethiopie a un énorme potentiel de 10 000 MW encore inexploité
Confronté aux rudes des effets du réchauffement climatique comme son voisin kenyan, l’Ethiopie a expérimenté ces dernières années le peu de fiabilité de l’hydroélectricité, jusque-là la principale source énergétique du pays.
Aussi a-t-il envisagé l’option alternative de l’énergie verte en lançant les travaux de construction d’une centrale géothermique dans la région d’Aluto Langano. Mais les fruits escomptés ne sont pas encore palpables, alors que le potentiel du pays en énergie géothermique est estimé à 10 000 MW. Le même que celui du Kenya.
A Djibouti aussi, l’exploration de la piste géothermique préoccupe le gouvernement mais celui-ci est confronté pour ce faire au problème d’emplacement idéal.
Il y a environ 1000 MW de potentiel à Djibouti et la demande actuelle d’électricité à Djibouti est de plusieurs centaines de mégawatts,
expliquait Masuda Kanako, conseillère en formulation de projet au sein de la JICA à Djibouti. Et d’ajouter :
Donc si nous pouvons développer un dixième du potentiel, cela aura des répercussions importantes sur le mix énergétique de ce pays.
Capacité installée de 978 MWe
De l’avis de plusieurs experts, en effet, l’exploration de l’énergie thermique a un coût très onéreux. Elle est aussi coûteuse que celle des énergies fossiles comme le pétrole, car nécessitant des relevés aussi bien par satellite qu’en surface, ainsi que des analyses de gaz.
De ce point de vue, un puits pourrait coûter environ 500 millions de dollars américains. Ces facteurs expliquent sans doute le retard de l’Afrique dans le développement de ce type d’énergie. La capacité installée du continent est d’environ 978 MWe, soit à peu près 5% du total mondial, à en croire le rapport « Global geothermal market and technology assessment » de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA).
Dans un contexte où 63% des zones rurales d’Afrique subsahariennes n’ont pas accès à l’électricité, l’investissement dans ce sous-secteur énergétique n’a pas de prix.