Fin août dernier, le président ougandais Yomeri Musevebi a exprimé la lassitude de son pays face à l’invasion des produits textiles issus des importations. Alors qu’il présidait l’inauguration d’un parc industriel dont la construction a requis l’expertise technique des Chinois, le chef de l’Etat ougandais a pris la communauté des affaires de cours en annonçant l’interdiction par son pays, des importations de vêtements de seconde main en provenance principalement des Etats Unis d’Amérique et de l’Union européenne.
Une mesure certes courageuse mais anxiogène, qui devait entrer en vigueur depuis le 1er septembre 2023. Une décision qui n’est pas du goût des Américains, un des partenaires économiques de choix de l’Ouganda. D’ailleurs, le pays est africain a, par le passé, annoncé deux fois des suites sa volonté de mettre un terme aux importations massives avant de rapporter cette décision. C’est donc la troisième fois qu’une telle annonce est faite.
De nombreux experts pensent que cette fois sera la bonne, à l’analyse du ton employé par le numéro un ougandais :
Quand les hommes blancs meurent, leurs vêtements sont envoyés en Afrique. La production de nos usines textiles est invendable car le marché est inondé par ces fripes venues du nord,
a-t-il déclaré sur un ton empreint de populisme, arrachant dans la foulée un tonnerre d’applaudissements au sein du public. Le président Museveni estime que les vêtements d’occasion en provenance des espaces commerciaux ciblés sont des « vêtements de Blancs morts », ce que contestent certains confrères occidentaux, aux yeux desquels ces vêtements sont des produits issus de la fast mode fashion, dont les propriétaires se débarrassent aussitôt qu’ils s’en lassent.
Sauf que ces vêtements au lieu de prendre la direction de poubelles dans leurs pays d’origine sont expédiés en Afrique pour être recyclés ou revendus comme tels. La société Relais, un réseau d’entreprises d’insertion fondé en 1984 sous l’égide de la communauté Emmaüs, exporte vers l’Afrique 30 à 40% des 100 000 tonnes de nippes qu’elle collecte en Europe.
Ces vêtements sont revendus au Burkina Faso, au Sénégal et à Madagascar, entre autres pays. Le marché est fort rentable et pourvoyeur de revenus. C’est ce qui explique l’inondation des marchés du continent par des vêtements de friperie. Le continent apparaît dès lors comme la poubelle des pays occidentaux, aux dires de l’actuel président ougandais et, avant lui, son homologue rwandais Paul Kagame.
4 millions d’Ougandais tirent leurs revenus du textile
Le deuxième argument avancé par le leader ougandais pour justifier sa mesure protectionniste, est la volonté de son pays « favoriser l’industrie textile nationale », selon le journal espagnol El Pais, relayé par le site géo.fr. La décision du président ougandais ne suscite pas des grincements de dents seulement auprès de ses partenaires américains et européens, elle a également créé un tollé au sein de la communauté des commerçants de friperie du pays, surpris par l’impact négatif que pourrait avoir une telle mesure au plan économique en l’occurrence.
Car la filière du textile fait vivre 4 millions d’Ougandais et rapporte au pays 19,88 milliards d’euros à la revente. Ces taxes découlent de l’écoulement d’un volume de 6 668 tonnes de vêtements d’occasion importés mensuellement par le pays, selon l’Autorité fiscale ougandaise. L’industrie locale ougandaise du textile n’emploie que quelques milliers de personnes pour le moment.
Vu sous cet angle, les inquiétudes des opérateurs économiques du secteur du textile rwandais semblent dès lors justifiées.
C’est stressant de penser qu’ils peuvent fermer mon entreprise à tout moment,
a indiqué un opérateur de la filière de 34 ans, diplômé en informatique, interviewé par El Pais.
Par ailleurs, 80% de la population ougandaise dépend de ce type de vêtements de seconde main pour s’habiller à moindre coût, apprend-on. L’Economic Policy Research Center affirme pour sa part qu’entre 2001 et 2016, les importations de vêtements de seconde main ont été multipliées par cinq. Elles ont donc progressé de 25,6 millions d’euros à 128 millions, apprend la même source.
La faible production nationale de fibres en Ouganda a convaincu certains acteurs de la filière, les stylistes au premier plan, de recourir vers les importations de friperie qu’ils reconfigurent en collections avant d’opérer par la suite un « retour [de la marchandise] à l’envoyeur ».
Les Etats-Unis et l’Europe produisent 70% de vêtements usagés inondant l’Afrique
Des interrogations se posent déjà sur l’opérationnalité de la mesure des autorités ougandaises. Toutefois, l’on apprend que le ministère du Commerce et celui des Finances et du Développement économique, conjointement avec l’institution dénommée The Uganda Revenue Authoriy, travaillent à développer les modalités de mise en œuvre de la nouvelle législation.
L’Ouganda devient ainsi le deuxième pays africain, après le Rwanda, à lancer officiellement la bataille contre les vêtements de seconde main issus des Etats-Unis et du continent européen. Ces deux régions produisent à elles seules 70% des vêtements de seconde main circulant en Afrique, à en croire l’Ong Oxfam. Le risque que la décision du président Museveni les irrite est donc grand et réel.
Pour éviter une telle déconvenue, le Rwanda avait opté d’arrondir les angles quand il décidait, en 2016, de mettre en vigueur sa propre mesure. Le pays de Paul Kagame avait plutôt imposé des tarifs douaniers prohibitifs allant jusqu’à 5 dollars par kilogramme de textile importé, multipliant par 12 les droits de douane pour l’importation de vieux vêtements et par 10 ceux des chaussures usagées, histoire de décourager les importations massives de ces produits en provenance de l’espace Schengen et des Etats Unis.
Cette mesure avait permis de booster la filière locale. Le Rwanda avait alors créé de toutes pièces sa propre filière textile grâce aux capitaux et à l’expertise chinoise. Résultat : entre 2018 et 2020, les exportations locales ont décollé pour se situer à un niveau record de 83%. Elles remportent 35 millions de dollars par an et la clientèle se recrute surtout sur le marché international, le pouvoir d’achat des consommateurs locaux demeurant encore très faible.
Cette audace affichée par Kigali n’a pas été sans conséquences fâcheuses. En réaction, les Etats-Unis ont exclu le pays des Grands Lacs de l’initiative « African Growth and Opportunity Act » (AGOA), un programme de soutien aux exportations africaines vers le pays de l’oncle Sam, mis en place en l’an 2000, mais conditionné entre autres, hélas, par les importations des surplus de vêtements made in USA.
Car le marché des vêtements de seconde main au pays de Donald Trump pèse des milliards de dollars dans le portefeuille des entreprises privées qui les expédient dans des conteneurs à destination de l’Afrique subsaharienne.
La réduction ou l’interdiction des importations profitent aux entreprises du secteur textile chinois. Selon l’USAID, les activités rwandaises de la société C and H génèrent un chiffre d’affaires de 154 millions de dollars par an, alors que, il y a peu, Kigali lui mettait la pression afin qu’elle produise localement pour combler la pénurie de vêtements de seconde main.
Les importations massives de vêtements chinois, légitimes ou non déclarées, constituent la vraie menace à l’industrie textile est africaine,
observait encore très récemment USAID. « Nous avons perdu des marchés aux Etats-Unis en raison de la situation avec l’AGOA », indiquait pour sa part Emmy Iraguha, un responsable à C and H.
Ghana, Sénégal et Côte d’Ivoire : l’empire de la friperie
Toujours en 2016, deux autres pays de l’Afrique de l’est ont voulu emboîter le pas au Rwanda en refusant des vêtements issus de la friperie et en multipliant les prix par 20. Il s’agit notamment du Kenya et de la Tanzanie. Mais les deux pays ont vite rapporté leur décision, sous la forte pression américaine. Cette zone économique importe environ 1/8ème des vêtements utilisés dans le monde, en provenance surtout des USA.
L’industrie emploie 355 000 personnes et génère des recettes annuelles de 230 millions de dollars (195 millions d’euros), d’après une étude publiée par l’agence américaine d’aide internationale (USAid). Le Ghana et dans une certaine mesure le Sénégal, la Côte d’Ivoire sont classés parmi les principaux clients de produits textiles en provenance d’Occident.
Ils constituent l’empire de la friperie. Le Ghana est le plus grand importateur mondial de ces vêtements de usagés. Mais le pays paie le lourd tribut de cet exploit en assistant impuissant à la pollution des rivières du pays, expliquent les experts.
En février 2023, l’organisation Changing Markets Foundation, qui a pour vocation de défendre la production et le commerce durable, avait publié une étude sur la filière vestimentaire.
L’exportation de vêtements usagés vers les pays pauvres est une soupape de sécurité pour écouler une surproduction systématique et un flux furtif de déchets,
fustigeait l’organisation non gouvernementale. Ces observations ont sans doute conforté les convictions du président ougandais et accéléré le processus. Surtout que l’Ouganda compte parmi les pays producteurs de coton. Dans les années 1970, 85% des récoltes du pays étaient destinées à l’industrie textile locale.
La communauté indo-pakistanaise était un des poids lourds de la filière, et ses démêlés avec le président Idi Amin Dada Oumee, alors aux affaires, auraient provoqué la chute du secteur industriel et ouvert le boulevard aux produits de friperie. Aujourd’hui, ce secteur industriel ne représente plus que 10% à cause de l’expansion du marché de la fripe.
La Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), à laquelle fait partie l’Ouganda regroupe sept pays et représente 13% des importations mondiales du commerce du textile. Le président ougandais a lancé la guerre pour la première fois contre les vêtements importés après que cette organisation économique régionale a appelé ses membres à bannir ces importations considérés dans cet espace économique comme un dumping néo-colonial. C’était en 2016.
Cependant, les deux premières tentatives ont échoué, sous la pression des États-Unis, qui est un des principaux pourvoyeurs de fripes, puis sous la pression des importateurs locaux. Ces derniers y parviendront-ils cette fois-ci ? Rien n’est sûr.