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Eru, Okok, Koko : un marché de légumes de près de 21 millions de dollars US à capter et à accroître

La cueillette des feuilles de cette plante forestière non-ligneuse scientifiquement appelée gnetum, alimente un vaste marché qui peine à satisfaire la demande de plus en plus forte, au regard de ses vertus nutritionnelles et thérapeutiques. Les efforts consentis par le Cameroun, qui injecte chaque année environ 500 000 dollars dans la filière et possède les volumes de production et d’exportations les plus importants dans le bassin du Congo (environ 10 000 tonnes annuelles en conditions naturelles), ne suffisent pas pour combler l’insuffisance de l’offre et répondre aux attentes d’un marché nigérian gourmand en demande. Ce pays d’Afrique de l’Ouest absorbe près de 80% des exportations camerounaises. Se met en place un vaste réseau de commerce transfrontalier sur un corridor économique allant du Nigéria jusqu’en Angola, en passant par le Cameroun, le Gabon, la RCA et la RDC, mais aussi le Congo-Brazzaville.

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Eru, Okok, Koko

Le gnetum est le nom scientifique d’une plante rampante non-ligneuse qui pousse dans les forêts tropicales humides du bassin du Congo, en Afrique, et dont les feuilles sont mangées crues ou préparées sous plusieurs formes et recèlent une forte valeur nutritive, sans compter ses nombreuses vertus. Il en existe deux espèces : le gnetum africanum et le gnetum bucholzianum. L’appellation commerciale et vernaculaire de ces feuilles comestibles varie selon les pays où elles sont récoltées : le Eru dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest au Cameroun, l’okok chez les communautés forestières du Centre, du Sud et de l’Est du même pays, ou encore le Koko en République centrafricaine (RCA). Les Gabonais donnent à ce légume le nom de nkumu, et les Congolais l’appellent fumbua. La tribu nigériane des Igbo le désigne ukasi, et celle des Efiki/Ibibio lui donne le nom d’afang. Les feuilles de ces lianes de sous-étage sont finement hachées lorsqu’elles sont destinées à la cuisson pour en faire des soupes et des ragoûts. Selon des experts, le gnetum constitue une source importante de protéines, d’acides aminés et de minéraux. En plus, ses feuilles ont la particularité d’être sempervirentes : on peut les cueillir tout au long de l’année.

Ce résumé sommaire des caractéristiques du gnetum africanum explique pourquoi ces feuilles sont très prisées au-delà de l’Afrique (les diasporas de ce continent absorbent une part non négligeable des exportations), et font aujourd’hui l’objet d’un vaste réseau de commerce transfrontalier sur un vaste corridor économique allant du Nigéria jusqu’en Angola, en passant par le Cameroun, le Gabon, la RCA et la RDC, mais aussi le Congo-Brazzaville. Le Cameroun est l’un des principaux pays d’origine des exportations qui alimentent les marchés de la sous-région Afrique centrale et Nigeria. Le gnetum est récolté dans les départements de la Lékié et du Nyong et So’o (dans la région du Centre), dans la région anglophone du Sud-Ouest, et, en moindre quantité dans le département du Nkam (région du Littoral).

Pendant longtemps, ces feuilles vertes étaient récoltées pour satisfaire les besoins de l’autoconsommation (familles et ménages), ainsi que le marché local. Ce qui explique cette vieille tendance à l’étiqueter comme une identité culinaire des communautés culturelles des aires forestières où poussent leurs bourgeons.  Les régions du Sud et de l’Est Cameroun en font également partie. Par la suite, l’okok et le eru se sont progressivement affirmés comme un mets national et ils s’imposent de plus en plus comme la « star » des recettes culinaires sur la table des Camerounais et même au-delà, selon le propos de Pierre Ayissi Nnanga, coordonnateur national du Programme d’appui à la promotion de l’Okok, le « Eru », approché en 2018 par le quotidien public national Cameroon Tribune.

Aujourd’hui il est consommé par tous les Camerounais y compris les pays voisins,

 expliquait-il.

Depuis 2009, 500 000 $US par an pour soutenir la filière naissante au Cameroun

Si les travaux scientifiques en vue de la domestication et la culture du gnetum ont été amorcés depuis les années 70 au Nigeria, au Cameroun, au Congo Brazzaville et au Gabon, ce n’est qu’au début des années 2000 que s’opère la véritable structuration de cette filière agricole, et ça se passe au Cameroun. Face à la forte croissance de la population et de la demande, à la surexploitation et aux risques de disparition de cette variété alimentaire, le gouvernement de ce pays d’Afrique centrale décide d’encourager toutes initiatives de culture de gnetum, jusque-là récolté en forêt.

Les premiers essais réalisés dans le département de la Lekié (région du Centre), dès 2003, sont couronnés de succès. Ils bénéficient de l’appui du Centre de recherche forestière internationale, de l’Institut de recherches agricole pour le développement (IRAD) et de l’Association pour le développement des initiatives environnementales (ADIE), une ONG. Depuis 2009, le gouvernement camerounais mobilise chaque année 500 000 dollars USD (297 831 150 CFA) à travers le Projet d’appui à la promotion de la culture d’okok (Papco) pour soutenir tous les programmes de domestication de cette plante et toutes démarches visant à lui assurer une pérennité.

Régression de la production camerounaise en 2010

Le soutien des autorités a donc favorisé la naissance d’une filière camerounaise de l’okok ou de l’eru. Le port de Campo (près de Kribi, région du Sud) est le point d’embarquements à destination du Gabon et du Congo Brazzaville et le port du village côtier d’Idenau demeure le point de départ des exportations vers le Nigeria. Une étude du ministère des Forêts et de la Faune (Minfof) du Cameroun, indiquait il y a quelques années que la production de l’okok à l’état naturel avait régressé, passant de 3925 à 2300 tonnes en 2010 soit 625 tonnes de moins.

Il demeure que l’accompagnement a permis une amélioration des techniques de conditionnement et de conservation de ce produit jusque-là vendu sous la forme de feuilles fraiches, non sans risques d’avaries. Pour parvenir à une augmentation de la production et à la satisfaction d’une demande de plus en plus croissante et contraignante, les acteurs de la filière ont dû se soumettre à la loi de l’innovation. Déjà spécialisée depuis sa création, en 2002, dans le séchage de certains aliments en vue de leur exportation, la Taless Dry Food, une unité semi-industrielle basée à Soa, en banlieue de Yaoundé, ajoute à son tableau de prestations le séchage de feuilles fraîches de gnetum coupées en fines lamelles.

La structure se ravitaille auprès des commerçants qui se sont spécialisés dans la coupe de ce légume traditionnel au marché de Mokolo à Yaoundé. Si la distribution des produits finis connaît le succès dans les rayons de certains supermarchés de la capitale camerounaise et à l’exportation, des difficultés subsistent quant à l’approvisionnement en matière première. Pourtant, les ambitions de la PME de réaliser de grosses affaires aussi bien sur le marché domestique qu’à l’international ne prennent pas la moindre ride.

Cameroun : une production de 10 000t pour 20 984 132,64 USD de recettes d’exploitation en 2015

Grâce à l’organisation de la filière, la production annuelle du Cameroun en conditions naturelles s’établissait à 10 000 tonnes en 2015, selon une note politique du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) communiquée la même année. La quantité commercialisée était de 5000 tonnes par an pour des recettes d’exploitation d’environ 20 984 132,64 USD dollars USD (12,5 milliards de F. CFA).

Si une quantité de la production est consommée au Cameroun principalement dans les villes, un volume tout aussi important est exporté vers le Nigeria, principale destination depuis la profonde mutation de la filière. Ce grand voisin absorbe 80% de la production nationale du Cameroun. Les exportations du Cameroun vers ce pays ont largement évolué au fil des décennies, passant de 428 t en 1992 (selon le rapport 2009 du Fonds alimentaire mondial, FAO) à plus de 4000 tonnes en 2009. Elles représentaient alors 78% du total du commerce international de l’okok. Ce qui fait dire à l’expert camerounais Louis Njié Ndumbé que : 

Si on considère que le prix du kilo d’okok est de 1000FCFA, le total des exportations d’okok du Cameroun vers le Nigeria a représenté une valeur d’environ quatre milliards de F CFA ou de 7,6 millions de dollars US. Globalement, les exportations mondiales d’okok sont d’environ 5,1 milliards de FCFA soit 9,8 millions de dollars US et représentent 0,3% des exportations totales du Cameroun.

Louis Njié Ndumbé rapportait ces données dans le n°38 de la Note de politique commerciale de l’Afrique (un support de la Banque mondiale), publiée en juin 2013. L’analyste révèle par ailleurs que cette activité contribue en moyenne à 62% du revenu annuel d’une récolte et fournit en moyenne 75% des revenus annuels des détaillants (1268 dollars US) et 58% des exportateurs (7000 dollars US) selon les données du CIFOR 2009 et Ingram et al, 2012).

Le rôle clé des femmes camerounaises

Les femmes interviennent dans la chaîne de valeur soit comme des exploitantes, soit comme commerçantes à petite échelle. Leurs marges de bénéfices journalières varient entre 16 et 160 dollars selon la saison et les conditions sur les marchés. La gent féminine représente près de 80% sur un total de 179 exploitants interviewés dans les régions camerounaises du Sud-Ouest et du Littoral.

Par ailleurs, elles représentent 58% des quelque 265 exportateurs identifiés par le CIFOR en 2009. On le voit, le Cameroun domine de loin la production mondiale de cette liane qui est une spécificité du bassin du Congo, deuxième poumon vert du monde. Toutefois, souligne Pierre Ayissi Nnanga, le coordonnateur national du Papco, interviewé en 2018 par le quotidien public national Cameroon Tribune,

la demande nationale et internationale est de loin supérieure à l’offre actuelle sur le marché.

Il n’en demeure pas moins que, bien que des chiffres officiels n’aient pas été communiqués au cours des récentes années, le fort potentiel que recèle la domestication de cette plante, en termes de création de richesses et de niches d’emplois, est une opportunité à saisir pour accélérer les investissements dans ce secteur prometteur. Par exemple, un investissement de 8 227 dollars USD (4,9 millions de F CFA) dans l’activité de pépiniériste pourrait rapporter jusqu’à 13 429 dollars US soit huit millions de F CFA de bénéfice annuel pour une pépinière de 25 000 plants, à en croire le coordonnateur du Papco.

Centrafrique : des pratiques inadaptées détruisent la forêt productrice de koko

Selon l’universitaire congolaise Yolande Berton-Ofouémé, auteure d’une étude intitulée « Commercialisation et consommation du koko au Congo et ses conséquences en milieu rural », parue en 2007, la forte demande a créé autour de l’activité, dans son pays, une chaîne de valeur comprenant de nombreux agents économiques et des emplois conséquents : cueilleurs, démarcheurs, transporteurs, chauffeurs, tâcherons, revendeurs, etc. En lisant ses travaux, l’on apprend que le gnetum

est, en termes de quantité, le quatrième légume-feuille, après les feuilles de manioc, le ‘‘mélange’’ et le chou chinois, le plus consommé par les Africains à Brazzaville. Estimée à 2 091 t en 1992, la consommation brazzavilloise de koko [nom en lingala, NDLR] serait actuellement de 2 939 t, soit une consommation annuelle additionnelle de 79 t. Les ménages consomment en moyenne 14 kg de koko par an, soit 6% des légumes consommés, et consacrent en moyenne 7 730F CFA [12,97 USD] par an à l’achat de ce produit soit 12% des dépenses globales en légumes.

Jusqu’en 1992, le gnetum consommé dans les principales villes de ce pays provenait des localités situées dans la forêt du Mayombe. Toutefois, dès 1993, la guerre civile a affecté l’activité commerciale. Depuis une dizaine d’années, les départements des Plateaux (avec Abala, 400 km de Brazzaville, et Allembe, environ 430 km de Brazza) et de la Cuvette (Boundji, 493 km de la capitale), sont les principaux fournisseurs de koko.

En RCA, le village forestier de Bakota2, fief des pygmées Ba Aka, est l’un des principaux bassins de récolte du koko. Cependant, sous la forte pression de commerçants exigeant de très grandes quantités pour ravitailler les principales villes du pays, les populations autochtones ont souvent recouru à des pratiques peu recommandables : coupe des lianes ou abattage des arbres servant de supports à cette plante grimpante, dans le but de faciliter la collecte des feuilles de gnetum. Ce faisant, ils trouent les forêts, mettent à mal la biodiversité et facilitent l’avancée de la savane.

Le Cameroun régule la filière pour une gestion rationalisée

Pour éviter un tel scénario et la cacophonie, le gouvernement camerounais s’évertue depuis les années 2010 à réguler ce secteur moyennant la délivrance d’une licence aux commerçants de ce produit agroalimentaire et bio-écologique. Des quotas sont attribués à ceux-ci par un comité interministériel placé sous l’égide du ministère de la Forêt et de la Faune. Ce quota fixe à 600 tonnes le volume annuel de gnetum autorisé à la vente pour chaque commerçant titulaire d’une licence. Le dépassement de ce quota expose à des sanctions.

Avec l’organisation et la professionnalisation de la filière, le volume des exportations transitant chaque année par le port d’Idenau est à lui seul estimé à 600 tonnes pour un marché local de 3 021 762,42 USD (1,8 milliard de francs CFA). L’activité génère ainsi des emplois aussi bien localement que dans les pays voisins. Une étude évalue à 755,44 USD (450 000 F CFA) le chiffre d’affaires mensuel d’un marchand exerçant à plein temps dans la vente du gnetum à Idenau.

Flambée des prix sur le marché camerounais

Mais la forte demande, couplée aux multiples usages (nutritive et thérapeutique), ont eu pour corolaire la hausse des prix sur les marchés camerounais en 2013. Ce à quoi il faut ajouter les difficultés d’accès aux zones de production en saison de pluies. « Ce n’est plus une nourriture réservée aux pauvres », constatait alors, pour le déplorer, une ménagère rencontrée par Cameroon Tribune en 2013. Le journal s’alarmait de la tendance haussière entrainant une revalorisation des prix au détail, mais aussi dans les restaurants, où il fallait alors débourser 0,83 USD (500F) à 1,67 US (1000F CFA) pour s’offrir un plat d’ordinaire vendu 0,50 US (300F) à 0,83 US (500F), ou encore jusqu’à 3,35 USD (2000F CFA) dans les restaurants VIP.

Sur les étals, en septembre 2013, le prix détaillé de la plus petite mesure variait entre 100F à 150 F au lieu des 50F à 75F. Le prix d’un petit paquet de feuilles non-découpées d’okok était compris entre 0,83 US (500F) et 1,34 US (800F) à en croire des détaillantes. Une fois découpés, deux paquets revenaient à 3,35 USD (2000F CFA) et la petite tasse à 0,41 USD (250F). Une ménagère affirmait débourser au moins 2,51 USD (1500F) pour préparer un repas pouvant satisfaire une famille de six personnes. Les exportateurs, quant à eux, devaient débourser un montant compris entre 4,19 USD (2500) et 5,03 USD (3000F CFA) pour s’offrir un kilo d’okok séché.

Les petits pas vers la labellisation de l’‘‘okok’’ et du ‘‘eru’’

Début novembre 2015, un rapport rendu public par la Cameroon Policy Analysis and Research Center, déclarait une dizaine de produits du bercail, dont l’Okok, éligibles aux indications géographiques du Cameroun, et donc susceptibles de rejoindre dans le catalogue les quelque 1700 autres spécificités camerounaises comme le poivre blanc de Penja et le miel d’Oku, déjà labellisés à cette date. Cette labellisation a été possible grâce à la Codex alimentarius, à en croire Charles Booto à Ngon, l’alors Directeur général de l’Agence des normes et de la qualité (ANOR) au Cameroun. Une institution qui en 2009 comptait déjà 300 normes camerounaises.

Quelques mois plus tôt, les bonnes perspectives de ce produit au regard de la croissance de ses consommateurs et des tendances haussières de sa production, lui ont valu d’être au centre des débats de la 21ème session du comité FAO/OMS de coordination de la sécurité sanitaire des aliments pour l’Afrique, organisée à Yaoundé du 27 au 30 janvier 2015 autour du thème « Réflexion sur l’élaboration et la mise en œuvre de la politique et la stratégie de la sécurité alimentaire au Cameroun ». Les 120 délégués des pays africains membres du Codex alimentarius (code alimentaire) étaient réunis autour du ministre camerounais des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (MINMIDT), Emmanuel Bondé, à l’effet de mettre en œuvre le processus d’analyse des risques dans les pays africains, de produire des données et avis scientifiques et d’accentuer la sensibilisation sur l’importance du code alimentaire.

La 21ème session du comité de coordination FAO/OMS a ceci de particulier que des normes spécifiques vont être mises en place pour des produits qui intéressent beaucoup les consommateurs dont entre autres le bâton de manioc et l’‘‘okok’’. Il est nécessaire de connaître les normes en ce qui concerne l’alimentation,

expliquait le ministre camerounais, qui présidait les travaux.

Après le bâton de manioc et l’‘‘okok’’, nous allons poursuivre avec des produits non ligneux tels que le ‘‘ndolè’’, le ‘‘mbita kola’’,

ajoutait pour sa part le Dg de l’ANOR.

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