C’est le paradoxe africain. Malgré un sous-sol riche en pétrole, plus de 8 millions de barils extraits chaque jour en 2015, soit 9,1 % de la production mondiale, selon le journal Jeune Afrique, le continent a recours aux importations pour approvisionner le marché local. La faute, à un faible niveau de production. Mais, même en imaginant qu’elles puissent tourner à plein régime, les raffineries africaines seraient encore bien loin de répondre à une demande continentale qui s’établit à 3,8 millions de b/j, d’après les données publiées en juin 2016 par la BP Statistical Review of World Energy.
Un cas révélateur de ce paradoxe : le Nigeria. Premier producteur africain, le pays importe depuis 2012 les trois quarts de son pétrole, après la mise en sommeil de trois de ses quatre raffineries, dont la maintenance avait longtemps été laissée en souffrance. Elles ont été réactivées en juillet 2015, mais ne fonctionnent qu’entre 60 % et 80 % de leurs capacités (jusqu’à 210 000 b/j). La situation s’est largement détériorée de nos jours. Cette situation globale affaiblit considérablement l’or noir africain sur son propre terrain. « On voit arriver sur les côtes du continent des produits finis d’Asie et du Golfe, expédiés à très bas coûts », s’émeut l’économiste français Jean-Pierre Favennec, président de l’Association pour le développement de l’énergie en Afrique (Adea). La faute en revient principalement à la petite taille et aux capacités insuffisantes de ces unités de production.
Nées dans les années 1960 dans le sillage des indépendances, la Société africaine de raffinage [SAR, au Sénégal] ou la Société ivoirienne de raffinage [SIR], maintenant vieillissantes, étaient adaptées à de petits marchés et à de faibles besoins,
rappelle Jean-Pierre Favennec. Si la plus grande raffinerie du continent, à Skikda, en Algérie, traite 323 000 b/j, ce ne sont qu’entre 20 000 et 50 000 b/j qui sont produits en moyenne dans chaque raffinerie subsaharienne. Soit 35 fois moins que la plus grosse raffinerie du monde, celle de Jamnagar, en Inde, qui traite jusqu’à 1,2 million de b/j (pour un marché certes plus important), tandis que la raffinerie géante de Jubail, en Arabie saoudite, peut voir passer 400 000 b/j. Plus performantes, ces dernières bénéficient d’intrants moins coûteux en s’approvisionnant au plus près des lieux de production du brut.
Une raffinerie idéale, aujourd’hui, ferait au moins 20 millions de barils par an, et serait située à proximité immédiate d’un champ de production et d’un centre de consommation,
dessine Joël Dervain, secrétaire exécutif de l’Association des raffineurs africains (ARA), et ancien directeur général de la SIR.
Néanmoins, il y a de l’espoir…
Dans son analyse de marché, l’African Energy Chamber estime que la production pétrolière africaine devrait croître de 315 000 bpj (barils par jour) en 2022 à 6,35 Mbpj. Le principal producteur de pétrole brut africain, à savoir le Nigéria, devrait voir sa production atteindre 1,46 Mbpj. Une progression que les analystes de l’African Energy Chamber estiment durer que quelques mois. En effet, 65% de la production pétrolière nigériane vient de champs offshores. Or, ceux-ci ont subi les effets de la pandémie avec une baisse des investissements. Les projets de Shell et ENI dans les eaux du Nigeria ne devraient pas produire dans les prochains mois.
Selon l’African Energy Chamber, la Lybie, second producteur africain de pétrole, celle-ci est estimée entre 1,15 Mbpj à 1,17 Mbpj sur la première moitié de l’année 2017. Et, en fin d’année, elle devait s’élever à 1,25Mbpj. En Algérie, la production pétrolière se réduit d’année en année. Elle est passée de 1,2 Mbpj en 2010 à 927 000 bpj en 2021. Pour les experts, la production algérienne devrait atteindre environ 1Mbpj en 2022 avec un espoir d’amélioration depuis l’adoption de la nouvelle loi sur les investissements étrangers dans le secteur.
Quant à l’Angola, sa production reste marginale avec 1,12Mbpj en 2021. En 2022, le pays du sud-ouest du continent ne devait pas produire plus de 1,1Mbpj. Enfin, en Égypte, la production pétrolière a enregistré une baisse importante au cours de la dernière décennie. Elle devrait produire environ 530 000 bpj en 2022, contre 540 000 bpj en 2021.
Un manque d’investissements
L’état de la production pétrolière en Afrique tient principalement aux difficultés que ces pays ont de rassembler les investisseurs. Le principal handicap du continent est de souffrir d’un manque d’investissements dans de nouvelles infrastructures. Alors, la hausse du prix des hydrocarbures en raison de la crise en Ukraine peut s’avérer être une opportunité pour les producteurs africains de pétrole et une occasion inespérée de nouveaux investissements dans ce secteur.
Les investissements réalisés dans cette filière ont surtout porté sur l’exploration et la production,
indique Hendrik Malan, président du cabinet de consultant Frost & Sullivan, dans un entretien publié par l’African Energy Chamber. En vendant leurs productions sur les marchés internationaux, les sociétés productrices en Afrique vont engranger des bénéfices.
La question demeure de savoir si ces bénéfices seront utilisés à bon escient en relocalisant le raffinage et en investissant plus dans des infrastructures locales pour stimuler la consommation locale.
Des revenus que le consultant espère aussi voir dans la diversification de l’économie. Dans son analyse, le président de Frost & Sullivan estime que la croissance de cette filière se fera d’abord pour les économies locales dans un but de réduire la pauvreté et d’accompagner la croissance économique.
S’adapter ou fermer
N’ayant pu surmonter la concurrence et s’adapter, certaines raffineries africaines ont dû fermer, notamment au Soudan, au Mozambique, au Zimbabwe, en Tanzanie, au Kenya ou, dernier exemple en date, au Maroc avec la Samir, à Mohammedia. Ce contexte n’incite pas les majors pétroliers à construire de grandes unités sur le continent. Le coût de construction, estimé entre 4 milliards et 15 milliards de dollars (de 3,5 milliards à 13,5 milliards d’euros), est un frein définitif, alors que toutes font des économies pour absorber la chute du baril depuis deux ans.
Néanmoins, constate Jeune Afrique, c’est peut-être du continent que viendra la solution. À Lekki, près de Lagos, l’homme d’affaires nigérian Aliko Dangote a lancé en 2013 le chantier d’une méga raffinerie évaluée à 12 milliards de dollars (coût de 20 milliards de dollars US en définitive) et qui devait ouvrir en 2019. Elle devrait transformer 650 000 b/j et résoudrait le problème de la rentabilité en intégrant à son processus des activités de pétrochimie et en s’adressant prioritairement au marché local. Ce cas fait cependant figure d’exception, car, sur la centaine de projets de construction annoncés depuis dix ans au Sud du Sahara, très rares sont ceux qui ont abouti.
Pays producteur depuis le milieu des années 1990 après la découverte d’importants gisements d’hydrocarbures, la Guinée équatoriale a également annoncé son intention de mettre en place les installations de raffinage. Associée aux chinois CRCC et CIRDL, la compagnie nationale équato-guinéenne de pétrole (Gepetrol) a signé, récemment un accord-cadre pour le financement et la construction d’une raffinerie « aux standards internationaux ».
Et, c’est dans « les plus brefs délais » que devrait démarrer la construction de cette infrastructure, qui sera financée par Gepetrol (44 %) et ses partenaires chinois (56 %) et transformera 20 000 barils de brut par jour. En Guinée équatoriale où la consommation interne en 2020 était comprise entre 5 000 et 10 000 barils/jour, les autorités entendent répondre localement à la hausse de la demande en produits raffinés.
Tendance mondiale à la rationalisation des raffineries
Dans un contexte international qui tend plutôt à la rationalisation (Total prévoyait l’année dernière la fermeture de 20 à 30 raffineries, d’ici à 2035, sur les 79 existantes en Europe), difficile pour l’Afrique de riposter.
La tendance actuelle dans le monde est à la réduction du nombre de raffineries et à une augmentation des capacités de raffinage : c’est-à-dire à des sites de plus en plus gros et à des plateformes intégrées qui permettent des économies d’échelle,
explique Séri Gogoua, analyste financier et ingénieur dans l’industrie du raffinage. Ces plateformes intégrées, qui créent une convergence avec les activités pétrochimiques, offrent d’autres débouchés aux produits pétroliers, notamment en produisant des matières plastiques, et permettent au raffineur de profiter de la marge dans les deux types d’industrie. C’est ce saut vers la pétrochimie que les raffineries africaines n’arrivent pas à réaliser. Leurs installations demeurent de facture très simple, de type hydroskimming : elles sont seulement capables de transformer le pétrole en essence ou en fioul et permettent rarement de sortir des produits à forte valeur ajoutée ou de valoriser des produits lourds en produits légers. Bref, elles produisent trop de lourd et pas assez de léger…
Sur 100 tonnes de brut, une raffinerie africaine sort 60 % de produits blancs [essence, kérosène, butane], 35 % de fioul et 5 % de déchets, quand une raffinerie sophistiquée parvient à produire 80 % de produits blancs, lesquels se vendent beaucoup plus cher que le fioul,
détaille Joël Dervain. Plus une raffinerie transforme de blanc, plus elle devient rentable.
Les 10 plus grandes raffineries de pétrole en Afrique
Classées par capacité de raffinage, la raffinerie de Skikda en Algérie se classe 1ère. Elle a une capacité de traitement d’environ 16,5 millions tonnes/an, ce qui en fait la plus grande raffinerie d’Algérie, cette raffinerie est actuellement exploitée par Sonatrach. Cette raffinerie a une capacité de 323 000 barils par jour. En 2e position, il y a la raffinerie de Ras Lanouf en Libye. Elle possède une capacité de raffinage de 220 000 barils par jour. Elle produit du mazout, du gaz de pétrole, du naphta et du kérosène. Le complexe fabrique aussi des produits pétrochimiques à partir du naphta. Notamment grâce à une usine à éthylène d’une capacité de 1,2 million de tonnes par an.
En 3e position, se trouve la raffinerie de Port Harcourt au Nigeria. Elle est détenue et exploitée par la compagnie pétrolière publique nigériane Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) et a une capacité de raffinage de 210 000 barils de pétrole brut par jour. Puis vient en 4e position, la raffinerie de Sidi Kacem au Maroc. Elle est détenue et exploitée par la compagnie pétrolière publique marocaine Société Anonyme Marocaine de l’Industrie du Raffinage (SAMIR) et a une capacité de raffinage de 200 000 barils de pétrole brut par jour. En 5e position, on a la raffinerie d’Alexandrie en Égypte. Elle est détenue et exploitée par la compagnie publique égyptienne Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC) et a une capacité de raffinage de 182 000 barils de pétrole brut par jour.
La raffinerie de Durban SAPREF en Afrique du Sud se classe 6e. C’est la plus grande raffinerie d’Afrique subsaharienne, avec une capacité de traitement de 180 000 barils de pétrole brut par jour. La raffinerie SAPREF produit une gamme de produits pétroliers, notamment de l’essence, du diesel, du kérosène, du mazout et du GPL (gaz de pétrole liquéfié).
En 7e position, on a la raffinerie de Mostorod en Egypte. Elle a été construite en 1976, et a une capacité de traitement de 142 000 barils de pétrole brut par jour. La raffinerie de Mostorod appartient à la compagnie pétrolière nationale égyptienne, l’Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC), et est exploitée par une coentreprise entre l’EGPC et la société française Total. Elle produit une gamme de produits pétroliers, notamment de l’essence, du diesel, du kérosène et du mazout. En 2019, la raffinerie de Mostorod a été modernisée et agrandie pour inclure une nouvelle unité de raffinage, portant sa capacité de traitement à 4,7 millions de tonnes par an.
En 8e position, se classe la raffinerie de Durban ENGEN en Afrique du Sud. Elle est exploitée par la société sud-africaine ENGEN Petroleum, qui est une filiale de la société malaisienne Petronas. La raffinerie de Durban ENGEN a une capacité de traitement de 135 000 barils de pétrole brut par jour. Elle produit une gamme de produits pétroliers, notamment de l’essence, du diesel, du kérosène, du mazout et du GPL (gaz de pétrole liquéfié).
La raffinerie de Warri au Nigéria, arrive à la 9e position. Elle a été construite en 1978 et a une capacité de traitement de 125 000 barils de pétrole brut par jour. La raffinerie de Warri est exploitée par la compagnie pétrolière nationale nigériane, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), et produit une gamme de produits pétroliers, notamment de l’essence, du diesel, du kérosène et du mazout.
Enfin, à la 10e, on trouve la raffinerie de Zawia en Libye. Elle a été fondée en 1974 et est aujourd’hui la plus grande raffinerie de pétrole de Libye, avec une capacité de traitement de 120 000 barils par jour. La raffinerie de Zawia est exploitée par la compagnie pétrolière nationale libyenne, la National Oil Corporation (NOC), et produit une gamme de produits pétroliers, notamment de l’essence, du diesel, du kérosène, du mazout et du GPL (gaz de pétrole liquéfié).