« On étouffe ! », s’offusque une résidente de la capitale sénégalaise intervenant au cours d’une émission interactive à RFI mardi 24 octobre 2023. Le problème de cette citadine dakaroise n’est pas tant le déficit en logements abordables dans sa cité. Un problème qui du reste se pose dans toutes les capitales africaines. Elle se plaint de la saturation des grandes villes de son pays, dont celle de Dakar. Le déficit d’emplois, consécutif quelquefois à l’insuffisance de budgets de financement mais aussi à la mauvaise gestion des ressources existantes, ne laisse pas aux populations de l’arrière-pays et notamment celles des zones rurales d’autre choix que de migrer massivement vers les villes.
L’exode rural est dès lors l’une des équations majeures que les gouvernements africains doivent résoudre s’ils tiennent à relever les défis du logement de leur population. Presque cinq minutes après l’auditrice, un autre intervenant, appelant depuis Brazzaville, évoque et commente l’euphorie suscitée, le 23 octobre dernier, par l’inauguration des tours jumelles de Mpila situées au bord de la mer, aux côtes congolaises. Pour lui, les deux immeubles de plus de cent mètres de hauteur chacun, sont loin d’être des logements sociaux dès lors que les coûts de location ne sont guère à la portée des bourses moyennes.
Ils ne résolvent donc pas le problème de logement ni dans la capitale congolaise ni dans les autres villes du pays. Ce qui n’est pas faux sur toute la ligne. Le problème d’accès aux logements décents à des coûts abordables constitue le défi majeur mais aussi une urgence capitale pour les dirigeants africains au cours des trente-cinq prochaines années. Le problème de la décongestion des métropoles ne l’est pas moins. Or la résolution de celui-ci n’est manifestement pas pour demain.
C’est depuis 2013 que le Département des affaires économiques et sociales (DESA) de l’Organisation des Nations Unies (ONU) s’alarme de la croissance exponentielle de la population mondiale et, au même moment, exprime la crainte que cette hausse vertigineuse ne soit pas en adéquation avec les moyens mobilisés pour leur offrir des logements conséquents. Pour le cas de l’Afrique, la population de ce continent, actuellement estimée à 1,3 milliard d’habitants répartis sur une superficie de 30,2 millions de km2, devrait doubler pour atteindre 2,4 milliards d’individus à loger et autant de bouches à nourrir en 2050. Le continent abrite 17% de la population mondiale et sa superficie couvre 22% des terres de la planète. Il faudra alors investir beaucoup dans les logements en vue d’en accroître le nombre.
4,5 millions de nouveaux résidents dans les zones informelles chaque année
Selon les estimations publiées sur le site du Centre d’actualité de l’ONU, entre 2000 et 2050, la population urbaine des pays en développement pourrait dépasser la population mondiale en 1950, et atteindre le nombre de 3,2 milliards d’individus. En 2018, les Nations Unies relevaient qu’en l’espace de 20 ans, la population urbaine du continent a été multipliée par deux, atteignant 475 millions d’individus en 2015. D’ici 2025, elle devrait frôler le milliard de têtes du fait de l’exode rural galopant, un phénomène consécutif au boom démographique. Le Nigéria fait partie, à côté de l’Inde et de la Chine, des trois pays devant représenter 35% de la croissance prévue de la population urbaine mondiale entre 2018 et 2050.
On prévoit que l’Inde aura ajouté 416 millions de citadins, la Chine 255 millions et le Nigéria 189 millions,
indiquait l’ESA en 2018. Or d’après la Banque mondiale, plus de 60% de la population urbaine africaine vit dans les bidonvilles. En d’autres termes, 285 millions d’Africains nés ou ayant migré en ville sont mal logés. Le continent enregistre 4,5 millions de nouveaux résidents dans les zones informelles chaque année. La plupart de ces personnes ne peuvent s’offrir un logement formel de base ni accéder à des prêts hypothécaires.
Dans de nombreux pays africains, seuls les 5 % ou 10 % des plus aisés de la population ont les moyens de se procurer un logement formel de la catégorie moins chère,
souligne un rapport, à l’époque, de la Banque mondiale, qui déplorait par ailleurs le fait que jusqu’en 2015, 60 à 70% de ménages urbains africains vivaient dans des taudis. L’organisation Reall, spécialisée dans le soutien au lancement d’entreprises de développement immobilier en Afrique, souligne que les familles n’ont souvent pas d’autre choix que le recours aux logements à bas coût, malgré leur capacité à payer pour de logements plus décents. En conséquence, conclut le rapport, 90 % des Africains vivent dans des logements informels, où les conditions de vie sont souvent inférieures à la norme et dont les services de base comme l’eau, l’électricité et l’assainissement sont absents. Le rapport démontre que des interventions ciblées sur le marché informel peuvent améliorer rapidement la qualité du stock de logements existant dans plusieurs pays africains.
En proie au phénomène du « sans-abrisme », l’Afrique du Sud fait face à un déficit criard de logements décents. Environ 13% des près de 60 millions d’habitants du pays vivent dans des logements informels, selon les statistiques du gouvernement. Certains vivent sur des terrains non constructibles et parfois inondables. Le pays fait face à une démographie galopante. De 51,7 millions d’habitants en 2011, la population du pays a augmenté de 10 millions, selon les chiffres présentés le 11 octobre dernier par l’Institut national de la statistique.
6 milliards de citadins en 2050
A l’échelle globale en 2050, 6 milliards de personnes sur les 9 milliards d’âmes que comptera le monde vivront dans les villes. Soit plus de la moitié de la population terrestre de ces annése-là, selon l’édition 2013 du Rapport sur « La situation économique et sociale dans le monde », publié tout juste un an après la Conférence Rio+20 sur le développement durable et son document final intitulé « L’avenir que nous voulons ». D’ici là, le monde aura enregistré 2,5 milliards de personnes de plus qui habiteront dans les villes, selon une étude publiée sur le site d’ONU Info le 16 mai 2018. En d’autres termes, « 2 personnes sur trois habiteront probablement dans les villes ou d’autres centres urbains d’ici 2050 ». Cette hausse se justifie par les changements démographiques et la croissance démographique globale, selon le DESA. Actuellement, la population mondiale est de 8 milliards de personnes.
Si aucun pays africain ne peut gagner pour le moment le pari de pouvoir être à la hauteur de ces challenges, certains d’entre eux connaissent une avancée notoire. Et font des efforts considérables pour résorber la question. Mais la baisse des coûts de logements aussi bien à la construction qu’à la vente ou en condition de location demeure une gageure. Les données varient d’un pays à l’autre. Selon les estimations, le coût de construction par m² au Maroc est de 173 $. En République du Congo, il se situe à plus de 865 $. Entre 2017 et 2022, le secteur de l’habitat en Tunisie a été mis à rude épreuve. Des difficultés liées à la hausse des prix des matériaux de construction, selon le directeur général de l’Habitat au ministère de l’Équipement, Najib Snoussi. Même muni de 1000 dollars en République démocratique du Congo (RDC), il n’est pas aisé de s’offrir un appartement dans le centre-ville. Les demandeurs doivent débourser entre 3000 et 4000 dollars pour s’offrir la location d’une villa de quatre chambres en fonction de la superficie, et un montant compris entre 250 et 500 dollars pour un appartement.
En 2022, ce pays enregistrait un déficit de 4 millions de logements, selon Africa Property News. La forte demande est exprimée notamment à Lubumbashi, deuxième ville du pays, peuplée de 4 millions d’habitants. En Lybie, pays peuplé de seulement 6,9 millions d’habitants, les prix des loyers augmentent au-delà des moyens du ménage moyen, une hausse de 2,8% qui affecte également tous autres biens vitaux (transport et combustibles), ce alors même que le salaire minimum n’a connu aucune hausse depuis l’assassinat du Guide Mouammar Khadafi. Le loyer mensuel moyen pour une unité d’une chambre dans le centre-ville de Tripoli est de 188 USD (909 LD), tandis que les locations en dehors de la ville sont en moyenne de 562 LD par mois.
L’impérieuse nécessité de loger les populations à moindre coût
Or ces prix prohibitifs contrastent avec la forte demande en logements enregistrée d’année en année. En 2022, la Lybie enregistrait 800 000 personnes en demande de logement sans compter les 44 000 demandeurs d’asile. Au Maroc en juin 2023, le nombre de personnes sans domicile augmentait de 330 000, tandis que le nombre de ménages en attente d’un habitat était de 2,42 millions. Grâce à la garantie « Visale », des Marocains à revenu modeste ont pu obtenir une caution locative d’Action Logement, qui sera étendue à plus de 2 millions de citoyens de ce pays d’ici 2027. Depuis 2018, 1 million de ce type de cautions ont été réalisées. D’autres initiatives ont été élaborées en vue d’octroyer un logement pérenne aux personnes mal logées.
C’est le cas du dispositif du « Logement d’abord », qui sur cinq ans bénéficiera d’une enveloppe supplémentaire de 160 millions. Par ailleurs, le gouvernement prévoit de faire racheter aux promoteurs par la Caisse des dépôts et action logement, 47 000 logements non vendus, histoire de relancer la construction neuve aujourd’hui à l’arrêt. En Tunisie, le gouvernement a pris des mesures pour rassurer les citoyens à revenus moyens. Il a mis en place un crédit abordable avec des conditions favorables permettant de couvrir l’autofinancement à hauteur de 20%.
Dans l’ouvrage ”Housing Markets Dynamics In Africa”, l’on apprend sous la plume des économistes de la Banque africaine de développement (BAD) que « au Cameroun, par exemple, 93% des maisons sont construites par les propriétaires, tandis qu’à Dakar, au Sénégal, plus de 80% sont construites par eux-mêmes ». Pour les auteurs, « le logement formel ne représente que 10 % des logements construits dans les villes africaines ». 90% des citadins vivent donc dans un logement informel. Il y a par conséquent lieu de réguler le secteur pour résorber le déséquilibre observé. En tout état de cause, la croissance démographique de l’Afrique offre plus d’opportunités d’investir dans les logements. Mais le train de mesures prises ici et là ne peut porter des fruits sur la durée sans une réelle volonté politique et la mise en place de législations efficaces. Pour le moment, de nombreux gouvernements du continent demeurent autistes face à ces exigences de rigueur.
A lire dans ce Dossier 2,5 milliards d’Africains en 2050, un vaste marché et des opportunités
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