L’Afrique compte environ 1,3 milliard d’habitants en 2023, et 2,4 milliards d’habitants en 2050, selon diverses projections démographiques. Dans quelles conditions cette croissance démographique peut être une opportunité pour le continent ?
Qui dit population nombreuse dit vaste marché. A qui profite le marché ? A celui qui produit et transforme pour vendre et non à celui qui se contente de consommer ; la croissance démographique devient un dividende démographique à partir du moment où la gouvernance multiplie des chaines de valeur industrielles en Afrique.
Si l’Afrique est un marché passif qui se contente de recevoir les produits industriels importés, cela bénéficiera aux pays asiatiques et européens qui exportent le produit de leur industrie chez nous. Ensuite, il faut penser la formation de la jeunesse pour qu’elle soit adaptée à nos défis. Une jeunesse nombreuse mais mal formée est plutôt un danger, une source d’implosion potentielle. Cette formation doit orienter la jeunesse vers la création d’emplois et non les savoirs théoriques déconnectés.
Pourquoi la croissance de la population africaine fait-elle si peur ? Quels sont les vrais enjeux de ce débat ?
Le dividende démographique de l’Afrique fait peur à certains dirigeants, capitaines d’industrie et penseurs occidentaux qui ont en commun d’avoir unilatéralement réparti les rôles économiques internationaux, réservant pour l’Afrique une fonction de consommation. Que 62% d’Africains aient moins de 25 ans inquiète en Europe où les plus de 67 ans vont bientôt représenter plus de 60% de la population !
En Afrique, la natalité est encore forte (de l’ordre de 4,7 enfants par femme en moyenne) alors qu’elle est déclinante en Europe où le nombre d’enfants par femme est tombé à 1,59 alors que les démographes fixent à 2,1 enfants par femme la condition sine qua non pour qu’une population se maintienne et se perpétue. Depuis quelques années, la population européenne est non seulement vieillissante, mais déclinante, avec un nombre de décès annuels supérieur au nombre de bébés dans certains pays.
Cela suffit pour imaginer que dans un futur proche, l’Occident manquera de bras pour travailler et nourrir ses retraités et donc, sera vulnérable face à une Afrique jeune et dynamique. La démographie est vécue et pensée comme une confrontation et à ce jeu-là, les projections ne sont pas favorables à la vieille Europe et à ses continuums civilisationnels que sont les USA, le Canada, etc. L’enjeu est économique certes mais aussi et surtout civilisationnel. L’Occident a peur de voir disparaître sa civilisation, les valeurs qu’elle incarne et qu’elle a érigées en universalisme. C’est pourquoi certains produisent un discours violent qui réprime et stigmatise le ventre de la femme africaine. Mais cette entreprise ne leur réussit pas pour l’instant.
Que doit faire l’Afrique pour tenir le pari de loger, nourrir, éduquer, soigner, transporter et vêtir 2,4 milliards d’habitants d’ici 2050 ?
Il faut produire la valeur ajoutée sur place, en Afrique. Un continent démographiquement important mais qui est économiquement extraverti va imploser à tout moment, car la fuite des devises pour acquérir de quoi nourrir la population va dessécher la masse monétaire. Il faut penser l’agriculture de l’Afrique dans une optique de produire et de transformer à l’échelle locale afin de baisser les coûts, de retenir les devises et de créer des emplois sur place. Il faut investir dans les infrastructures transfrontalières intra-africaines pour relier non seulement les bassins de production et les lieux urbains d’écoulement, mais aussi et surtout pour relier les pays les uns aux autres. Une Afrique industrialisée et intégrée peut transformer sa force démographique en dividende démographique.
Mais une démographie forte est aussi synonyme d’accroissement des tensions et des confits entre communautés. Il va falloir penser des ingénieries socioculturelles et des médiations typiquement africaines pour faire face à ces défis. Il faut réduire l’intervention des forces étrangères dans la résolution des conflits africains, car l’expérience a montré que ces forces étrangères profitent de leur présence sur le terrain pour aggraver ces conflits et affaiblir le continent sur le long terme. Donc le défi de construire une souveraineté relative doit être relevé car l’Afrique est visée par une convoitise extrême. Cela aussi il faut en être conscient.
Propos recueillis par Claude Tadjon
A lire dans ce Dossier 2,5 milliards d’Africains en 2050, un vaste marché et des opportunités
- Afrique : nourrir une population qui aura doublée en 50 ans
- Loger 2,5 milliards d’habitants d’ici à 2050 en Afrique
- Habiller 2,5 milliards d’Africains d’ici 2050
- Des soins de santé améliorés pour 2,5 milliards d’Africains d’ici 2050
- Transporter 2,5 milliards d’Africains à l’horizon 2050
- Éducation : quel savoir pour 2,5 milliards d’Africains en 2050 ?
- Maurice Simo Djom : « Le défi de construire une souveraineté en Afrique doit être relevé »