Le 30 Juillet dernier à l’Hôtel Hilton de Yaoundé, l’Etat Camerounais a signé une convention minière avec CAMALCO SA sur l’exploitation de la bauxite de Minim Martap. Elle doit se dérouler en deux phases : la première phase consistera à exploiter trois plateaux plus riches en alumine qui représente près de 51% pour des réserves prouvées de 99 millions de tonnes avec une production annuelle prévue de 5 millions de tonnes pour une durée de vie de la première phase de 20 ans. Les termes clés de la convention sont les suivantes :
- de 10% des parts gratuites de l’Etat ;
- de la taxe ad valorem au taux de 3% de la valeur marchande ;
- du partage de production au taux de 5% du produit marchand ;
- du fonds de développement du secteur minier au taux de 1 % du chiffre d’affaires hors taxe ;
- du Compte spécial de développement des capacités au taux de 1 % du chiffre d’affaires hors taxe;
- des droits de concession domaniale fixés à 100 000 FCFA/Km2/an ;
- de la taxe à l’exportation au taux de 2% ;
- d’ouverture du capital de la société de projet à hauteur de dix pour cent (10%) aux nationaux
- un pas de porte ou bonus de signature d’un milliard de FCFA que Camalco devra verser à l’Etat Camerounais.
Avant de poursuivre l’analyse, quelques rappels :
Qu’est-ce que la bauxite ?
La bauxite est une roche sédimentaire blanche, rouge ou grise, caractérisée par sa forte teneur en alumine Al₂O₃ et en oxydes de fer. Cette roche constitue le principal minerai permettant la production d’aluminium et de gallium. Elle se forme par altération continentale en climat chaud et humide.
Principaux pays producteurs de bauxite dans le monde en 2023 (en milliers de tonnes)
Caractéristique (production en milliers de tonnes) : Australie (98.000), Guinée (97.000), Chine (93.000), Brésil (31.000).
Historiquement, le Cameroun depuis l’époque coloniale détient deux gisements de bauxite : Fongo Tongo et Minim Martap. Ce sont des gisements connus de tous depuis l’école primaire (Camalco n’a donc pas découvert un gisement de bauxite au Cameroun) et qui n’avaient jamais intéressé les colons. Ils n’avaient aucun intérêt économique, étaient assez éloignés de la côte atlantique, n’avaient pas de grandes réserves et n’étaient pas assez riche en Alumine.
Le Permis de Recherche sur Minim Martap
Au départ, en 2008, les permis sur la bauxite de Minim Martap et de Ngaoundal sont détenus par la Société HYDROMINES INC qui par la suite va changer de dénomination pour devenir la Cameroon Alumina Limited (CAL). En Avril 2011, le Premier Ministre signe l’arrêté portant création du Comité chargé des négociations en vue de la conclusion d’une convention minière entre la société CAL et l’Etat du Cameroun. Malheureusement pour la CAL, l’Etat Camerounais juge les négociations non concluantes et en 2018. Il attribue les mêmes permis à CAMALCO SA, une filiale de Canyon ressources pour une durée de trois ans non renouvelables et avec des objectifs bien précis : confirmer les réserves et boucler les études de faisabilités.
Courant 2021, Canyon Resources a entamé des discussions en vue de signer une convention minière et obtenir le permis d’exploitation minière pour lancer la construction et l’exploitation de la mine.
En Juin 2022, CAMALCO publie officiellement l’étude de faisabilité du projet.
Qui est Canyon Resources ?
La société était auparavant connue sous le nom de Castlemaine Resources Limited et a changé son nom pour Canyon Resources Limited en mars 2010. Canyon Resources Limited a été constituée en 2009 et est basée à West Perth, en Australie ; 945 Wellington Street West Perth, WA 6005 (après vérification à cette adresse il n’y a aucun tableau visible sur la route qui indique que les bureaux de Canyon resources s’y trouvent). Son Comité de gestion est constitué des personnes ci-après : Mr. Mark Ainsworth Hohnen : President du Conseil d’Administration, Mr. Jean-Sebastien Boutet : Directeur General (Canyon resources), Mr. Phillip Gallagher : Consultant, Mr. Matthew McNeill Worner : C.A., Mr. Rana Singh : Directeur Général de Camalco, Mr Patrice l’Huillier : Directeur du Projet Camalco.
Il est important de souligner qu’en dehors du projet de bauxite au Cameroun, Canyon resources n’a plus aucun projet ailleurs ; il n’a jamais eu de projet minier en dehors de celui du Cameroun, c’est pour faire comprendre que nous avons à faire à des spéculateurs pure et simple. Autre observation, dans le comité de gestion de Canyon resources et de sa filiale Camalco, il n’y a aucun Camerounais. L’Unique camerounais qui est présenté au Cameroun comme DGA de CAMALCO, M. Kouakam Mbenjo n’apparait nulle part sur le site internet de canyon et pire encore, il n’est mentionné nulle part dans les rapports financiers pour les investisseurs. Curieusement, M. Patrice l’Huillier, le Directeur du projet de Camlaco qui vient de rejoindre l’entreprise apparait déjà partout. Une illustration du peu de considération que ces « chercheurs d’or » ont des vrais propriétaires des ressources minières qu’ils exploitent.
Selon les rapports financiers annuels de Canyon resources publiés sur leur site Internet, en 4 ans, de 2019 en 2023 le comité de gestion qui, généralement est constitué de 5-6 personnes, se sont payés des salaires et autres avantages pour une sommes vertigineuses de 6 milliards de FCFA… Nous parlons bien d’une compagnie qui n’a pas encore une mine opérationnelle et dont l’unique projet depuis sa création est la Bauxite de Minim Martap. C’est dire que l’argent levé pour le projet au Cameroun, n’arrive pas au Cameroun. Il est aussitôt dilapidé par une bande de spéculateurs dont on peut questionner l’état d’âme.
Pour plus de transparence, Camalco SA devra faire un état sur les dépenses effectuées au Cameroun ainsi que le volume de la masse salariale versée à nos compatriotes. Nous avons aujourd’hui deux mercenaires qui ont été recrutés pour assurer la gestion de Camalco au Cameroun. Il s’agit du DG et du directeur du projet. Le premier vient du Gabon où il était DG de Nogamining(NGM), de la mine de manganese de Franceville qui a été largement mal géré. Il s’est évadé du Gabon aussitôt que la CTRI a pris le pouvoir. Le Deuxième est le Directeur du Projet. Il vient de la RDC où il occupait le poste de Directeur des Operations chez ERG. Il a été viré en 2023 du projet de cuivre à Kolwezi dans le Katanga pour mauvaise performance (autrement dit pour insuffisance de résultats).
Le Cameroun est-il devenu le dépotoir de la racaille étrangère ? Une terre d’asile pour incompétents alors même que le pays compte de valeureux ingénieurs et gestionnaires sortis de nos écoles et de l’étranger et qui peuvent produire des résultats meilleurs ?
Enfin, mon avis sur la convention minière signée
La signature de cette convention minière sur la bauxite de Mini Martap est plus politique que technique. Malheureusement, Canyon resources n’a pas de capacité technique avérée pour développer un tel projet. Il n’a pas la capacité non plus financière pour développer le projet de bauxite de Minim Martap. C’est maintenant et donc, après la signature de la convention minière qu’ils vont chercher à lever l’argent. La question pertinente à poser est la suivante : pourquoi attribuer des conventions minières aux spéculateurs ?
Le Cameroun aurait mieux fait d’attribuer les permis sur les Bauxites de Minim Martap et Fongo Tongo à la SONAMINES, la Société Nationale des Mines. Celle-ci aurait fait exactement la même chose que Canyon resources : aller spéculer sur les titres sur les places boursières pour le compte et au profit du Cameroun ! Comment pouvons-nous consciemment préférer donner la possibilité aux étrangers de s’enrichir sur notre dos au détriment du Cameroun et de son Peuple qui sont détenteurs de ces ressources? Ce qu’ils font n’est pas sorcier ! Il suffit de confier le projet à quelques ingénieurs.
La bauxite de Minim Martap a été découverte il y a plus de 70 ans et quantifié. Même Canyon resources n’a rien apporté comme valeur ajoutée à ce projet qui comporte près de 70 plateaux donc seul 3 ont été évalués et les réserves confirmées.
Comment peut-on admettre que Canyon Resources verse juste 1 milliard de FCFA sur un gisement d’une valeur de 2 milliards de dollars juste pour la première phase avec un investissement de 120 millions de dollars et avec un retour sur investissement de 4,5 and et une durée de la mine de 20 ans ? Selon des calculs très simples, Canyon resources devait au minimum verser à l’Etat Camerounais 10 milliards de FCFA comme « pas de porte » dès la signature de la convention minière (juste pour les minerais à expédition directe( DSO). Si le comité de gestion de Canyon s’est mis en poche 6 milliards de FCFA en 4 ans, pourquoi le Cameroun à qui appartient la ressource ne mérite pas plus ?
Lorsqu’on analyse les termes clés de la convention minières que l’Etat a signé avec Camalco, c’est un classique qui ressort de notre mauvais code minier (qu’il faut changer). De notre point de vue, c’est lorsqu’une compagnie minière a risqué son investissement pour faire de la prospection, la recherche de l’exploration qui lui ont permis de mettre en évidence un gisement qu’on lui donne ces termes clés. Mais lorsque la compagnie vient trouver un gisement déjà découvert, le Code minier n’est plus la référence de base.
Voilà donc les amendements immédiats que nous proposons :
- La part gratuite de l’Etat camerounais dans le projet doit passer de 10% à 15% ;
- La SONAMINES doit avoir le droit de Farm-In dans le projet à 15% et le droit de participer au pro rata au développement et la mise en opération du projet ;
- Le PCA et DG de CAMALCO SA doivent être des Camerounais ;
- Le « Pas de porte » à verser à l’Etat Camerounais par Canyon Ressources doit être au moins de 10 milliards de FCFA ;
- La sous-traitance du projet doit être assurée uniquement par des sociétés enregistrées au Cameroun et détenues à 51% par des camerounais ;
- Tout fond levé dans le cadre du projet de bauxite de Minim Martap doit d’abord impérativement atterrir dans les comptes de Camalco au Cameroun.
Si la Convention n’est pas aussitôt amendée, voilà ce qui va se passer : avec cette signature, ils vont spéculer sur des places boursières. Ils vont lever de l’argent et ils vont aller le cacher dans des paradis fiscaux.
Il n’y avait pas meilleure personne que la SONAMINES, la compagnie nationale minière pour porter ce projet. Le confier (donner) aux spéculateurs indiens qui ont malhonnêtement masqué leur origine en enregistrant la compagnie en Australie (Canyon est indienne et non australienne) est une faute. Pour les deux étrangers (indien et français) qui dirigent le projet au Cameroun, ils n’ont fait aucune preuve ailleurs.
La convention signée est désavantageuse pour le Cameroun, tout comme celles signées avec Sinosteel sur le fer de Lobe et Best Wing sur le fer de Mballam.
Toutes ces conventions seront purement et simplement annulées le moment venu.
Dr. Bareja Youmssi
Expert en Mines et Pétrole
Enseignant-Chercheur