Le procès des hauts cadres de la firme anglo-suisse Glencore Plc s’est tenu le 10 septembre comme annoncé. Si les noms des principaux corrompus tapis au sein des sociétés publiques intermédiaires d’une demi-douzaine de pays africains n’ont pas été révélés lors de cette première audience très attendue et suivie avec beaucoup d’intérêt dans les milieux d’affaires et par l’opinion des pays concernés, ce n’est que partie remise.
En effet, l’un des faits saillants que l’on retient au terme de cette audience de notification des charges, est le dessaisissement du tribunal de Westminster, en plein cœur de Londres, capitale du Royaume-Uni. L’institution judiciaire britannique s’est déclarée incompétente au regard de la gravité des charges qui accablent les six prévenus, tous de très hauts cadres de Glencore. Par ailleurs, le tribunal de Westminster a prononcé la libération sous caution des prévenus en attendant la prochaine audience prévue pour le 8 octobre.
Du coup, c’est la Southwark Crown Court, une autre juridiction londonienne située au 1 English Grounds, près de London Bridge et de Tower Bridge, qui va connaître des questions de forme et de fond dans l’affaire Glencore. La Southwark Crown Court est connue pour traiter des affaires criminelles graves notamment des fraudes importantes comme celles dans lesquelles sont impliqués les cadres de Glencore Plc, dans le rôle de corrupteur, et de très hauts cadres corrompus de sociétés africaines qui jouaient les intermédiaires dans le négoce de l’achat du pétrole brut dans les pays concernés par l’affaire Glencore de crimes économiques.
Nul doute que les premiers noms de corrompus vont émerger dès l’audience du 8 octobre au tribunal de Southwark Crown. La Société nationale des hydrocarbures (SNH), l’une des deux sociétés camerounaises impliquées dans ce scabreux scandale de pots-de-vin, « suit de très près les auditions des dirigeants et employés de la multinationale Glencore ».
Dans un communiqué signé le 10 septembre par son administrateur directeur général, Adolphe Moudiki, la société se dit par ailleurs « déterminée à poursuivre et faire condamner toutes les personnes poursuivies ».
Les actes de corruptions pour lesquels Glencore a été condamnée par jugement définitif de la Southwark Crown Court (Londres) en date du 03 novembre 2022, portent sur la période allant de 2012 à 2015, en ce qui concerne le Cameroun,
précise le communiqué de cette société qui a la charge de gérer le secteur pétrolier amont camerounais, notamment tout ce qui a trait à l’attribution des contrats d’exploration ou d’exploitation des champs pétrolifères sur l’étendue du territoire national.
Glencore a plaidé coupable de sept chefs d’accusation
La Southwark Crown Court avait déjà jugé l’entité Glencore Energy en novembre 2022. Le procès avait duré tout juste 24 heures, le principal accusé, Glencore Energy ayant plaidé coupable de sept chefs d’accusation pour éviter un long procès qui aurait pu se solder par des charges très lourdes à son encontre. Le 02 novembre 2022, la multinationale du secteur minier et énergétique avait été condamnée à payer 280 millions de Livres soit 321 millions d’euros pour ses crimes commis en Afrique.
Une amende qui ne représentait alors presque pas grand-chose comparée au bénéfice de 21,3 milliards de dollars réalisé en 2021 soit 83% de plus qu’en 2020, en raison de la hausse des cours du pétrole et du gaz dans le monde cette année-là. Une bonne performance record qui avait permis à la firme de rémunérer ses actionnaires à hauteur de 4 milliards USD en guise de dividende.
Les pots-de-vin faisaient clairement partie de la culture de certains membres du personnel du bureau d’Afrique de l’Ouest (…) Les faits démontrent non seulement une criminalité soutenue, mais aussi des dispositifs sophistiqués pour la dissimuler, y compris le prélèvement d’importantes sommes d’argent liquide pour d’autres objectifs déclarés qui seraient légitimes, tels que les frais d’ouverture d’un nouveau bureau, qui était en réalité utilisé à des fins de corruption
a déclaré le juge Peter Fraser en prononçant la sentence au terme d’une audience qui n’a duré que 48 heures.
De hauts cadres de Glencore poursuivis
En plaidant coupable, Glencore Energy était alors loin de s’imaginer que le procureur du Royaume-Uni autoriserait le Serious Fraud Office à diligenter des poursuites contre des cadres pris individuellement. Surtout que, en 2021, Anthony Stimler, l’un des traders de l’entreprise, avouait déjà avoir distribué des pots-de-vin au nom de la firme.
Ces choix n’ont pas empêché l’ouverture de poursuites pénales contre des particuliers ayant servi cette multinationale en haut lieu. Désormais, des noms comme ceux du milliardaire Alex Geard, ou encore Andrew Gibson, Paul Hopkick, Ramon Labiaga et Martin Wakefield sont familiers au procès ouvert mardi. Le premier, inculpé par le Serious Fraud Office (SFO), pour conspiration en vue de verser des pots-de-vin à l’effet de favoriser les opérations de Glencore en Afrique de l’Ouest, fut responsable du trading pétrolier chez Glencore, puis directeur de la division pétrolière de 2007 à son départ à la retraite en 2019.
Des pots-de-vin de 28 millions de dollards US en contrepartie de contrats lucratifs et juteux
Glencore Plc est accusé d’avoir versé plus de 28 millions USD à des cadres de sociétés étatiques d’une demi-douzaine de pays africains (Cameroun, Nigeria, Guinée Equatoriale, Côte d’Ivoire, Sud Soudan), pour obtenir des contrats lucratifs ainsi qu’un accès préférentiel au pétrole, une augmentation des cargaisons, des qualités de pétrole précieuses et de meilleures dates de livraison, selon les charges déroulées par le Serious Fraud Office, lors du procès de deux jours, ouvert début novembre 2022 au tribunal de Southwark Crown Court contre la firme.
Pour le cas du Cameroun, le montant de pots-de-vin payé par la firme aux fonctionnaires de la SNH et de la Société nationale de raffinage (Sonara), ainsi qu’aux autorités réclamant leur part d’enveloppe, s’élève à 11,6 millions USD soit 7 milliards CFA.
Si l’enquête ouverte depuis novembre 2023 par le Tribunal Cirminel Spécial (TCS), après sa saisine par la SNH, semble piétiner, ce que dénonce l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, Me Akere Muna, dans d’autres pays comme la Guinée équatoriale, ou encore la Côte d’Ivoire, l’affaire Glencore ne semble pas faire grand bruit, ainsi que l’a constaté Invest-Time.
Dan Gertler
En République démocratique du Congo en revanche, beaucoup d’eau a coulé sous le pont depuis 2018. La société israélienne Dan Gertler, ayant des associés à Lucerne en Suisse, est présentée comme « l’agent congolais de Glencore », et donc « l’instigateur invisible » de l’affaire éponyme. Elle est à ce titre embourbée depuis plus de cinq ans dans des démêlés sans fin concernant sa gestion des minerais (diamant et cuivre) congolais.
En outre, le diamantaire est soupçonné de financer la guerre à l’Est de la Rdc, et de liaisons et ramifications très complexes jusqu’à Gibraltar. C’est fort de ces soupçons qu’en 2017, les Etats-Unis avaient prononcé contre le géant minier des sanctions, mais le contournement de celles-ci par Dan Gertler a suscité un regain d’intérêt de la justice britannique et suisse sur les crimes présumés de l’entité.
En décembre 2020, par exemple, les comptes suisses de Dan Gertler avaient été transmis au Serious Fraud Office au Royaume-Uni qui a un moment suivi la piste de comptes genevois. En décembre 2022, Glencore International AG a été condamnée à payer 180 millions de dollars à la RDC pour couvrir 11 années de crimes économiques présumés, solder les litiges émanant des réclamations « présentes et futures » liées aux actes de corruption présumée perpétrés entre 2007 et 2018. Un accord est signé avec l’Etat congolais dans ce sens.
En août 2024, le ministère public de la Confédération helvétique a pour sa part clôturé son enquête contre Glencore International AG et ses activités de corruption en RDC. Le géant des matières premières a écopé d’une amende de deux millions de francs et d’une créance compensatrice de 150 millions USD, d’après l’ordonnance pénale signée par la procureure Yvonne Ramjoué Wicki et consultée par Gotham City.
Aujourd’hui, Dan Gertler est confrontée à un dilemme. Il s’agit de vendre ses actifs à Kinshasa à hauteur de 300 millions USD en contrepartie d’un nouvel accès au marché américain, la société israélienne étant depuis 2017 sous des sanctions qu’elle aurait violées.
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