Cette opération intervient dans un contexte de retrait progressif de Société Générale de plusieurs marchés africains, dont le Congo, le Burkina Faso, la Guinée équatoriale, le Tchad, le Maroc et le Mozambique. Initialement, le groupe français avait trouvé un accord de principe avec Coris Holding, mais Yaoundé a exercé son droit de préemption, bloquant la transaction.
La reprise de contrôle n’est pas anodine. Pour le gouvernement camerounais, il s’agit d’une manœuvre destinée à assurer la continuité des activités bancaires dans un contexte de reconfiguration du paysage financier africain. Cette décision vise à protéger les intérêts des clients, des partenaires et du personnel, tout en garantissant la stabilité d’un acteur clé de l’économie nationale.
Louis Paul Motazé, ministre des Finances, précise que cette opération est transitoire. Le gouvernement n’a pas vocation à gérer durablement cette banque. À terme, l’objectif est de céder les parts à un partenaire stratégique capable de renforcer le tissu bancaire local. Une ligne qui s’aligne sur les recommandations du Fonds monétaire international (FMI), qui encourage le Cameroun à réduire sa présence dans le secteur bancaire au profit d’acteurs privés.
Un portage transitoire
Le FMI avait déjà exprimé cette position en 2022, après les interventions publiques dans Union Bank of Cameroon (UBC), NFC Bank et Commercial Bank Cameroun (CBC). L’institution de Bretton Woods recommande des contrats de performance et une stratégie claire de retrait de l’État des banques commerciales.
Dans cette logique, le gouvernement camerounais rassure sur la gouvernance et la transparence de l’opération. L’accord signé prévoit le transfert intégral des activités, des portefeuilles clients et de l’ensemble des collaborateurs à l’État, dans l’attente de l’arrivée de nouveaux investisseurs. L’opération reste cependant soumise à la validation de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC), autorité de régulation en zone CEMAC.
Côté Société Générale, cette sortie du marché camerounais entre dans une politique globale de recentrage stratégique. Le groupe anticipe un gain estimé à 6 points de base sur son ratio de fonds propres CET1. Cette décision permet à la banque française de concentrer ses ressources sur les filiales africaines jugées prioritaires.
Dans le sillage de cette opération, plusieurs groupes bancaires africains affichent leur intérêt pour une reprise. Parmi eux, BGFI Bank. Déjà présent à Brazzaville après avoir racheté la filiale congolaise de Société Générale, le groupe gabonais mené par Henri-Claude Oyima ne cache pas ses ambitions. Zenith Bank (Nigéria), Coris Holding (Burkina Faso) et NSIA (Côte d’Ivoire) sont également sur la ligne de départ.
Le président-directeur général du groupe NSIA, Jean Kacou Diagou, a effectué une visite à Yaoundé début juin 2025 pour discuter d’une éventuelle acquisition. Présent dans l’assurance, NSIA souhaite se positionner sur le marché bancaire camerounais, avec une offre intégrée banque-assurance. Si l’opération se concrétise, NSIA deviendrait propriétaire de la deuxième banque du pays en termes d’actifs, derrière Afriland First Bank.
Une logique d’assainissement
Pour l’État camerounais, cette reprise permet de garantir un atterrissage maîtrisé à une banque stratégique. Avec une population de plus de 28 millions d’habitants et un taux de bancarisation encore faible, le Cameroun représente un marché à fort potentiel. Le contrôle temporaire de Société Générale Cameroun offre donc une fenêtre d’opportunité pour restructurer l’offre bancaire locale avant de céder à un acteur jugé plus compétent.
Le contexte n’est pas nouveau. Déjà en 2020, le gouvernement avait pris le contrôle de certaines banques locales en difficulté. Ces opérations ont été critiquées par les partenaires internationaux. Mais cette fois, l’acquisition de SGC s’inscrit dans un processus planifié de portage stratégique, avec un horizon de cession clairement identifié.
La convention signée entre les deux parties est l’aboutissement de six mois de discussions. Elle prévoit une reprise sans rupture, assurant la continuité des services bancaires. Les autorités promettent de maintenir la performance de la banque, en prévision d’une ouverture prochaine du capital.
En toile de fond, le Cameroun cherche à envoyer un signal fort, la souveraineté financière est une priorité, mais elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, transparent et attractif pour les investisseurs. En exerçant son droit de préemption, Yaoundé reprend le contrôle, mais se projette déjà dans une phase de transmission.
Le choix des futurs partenaires sera déterminant. Entre les ambitions des groupes bancaires africains et les exigences des bailleurs internationaux, le Cameroun doit naviguer avec précision. Le défi consiste à trouver un équilibre entre l’ancrage local et la viabilité économique, dans un secteur en pleine mutation.
Pour l’heure, l’État est à la manœuvre. Mais les regards sont tournés vers la suite : qui reprendra la SGC ? Et à quelles conditions ? Le Cameroun assume une position d’arbitre et de facilitateur, sans intention de s’éterniser dans le capital. La transition est enclenchée. Reste à voir si le pari d’un passage maîtrisé vers un acteur bancaire africain solide et structuré portera ses fruits.
