Le Cameroun tient toujours à réduire sa très forte dépendance vis-à-vis des importations de denrées alimentaires. Cet objectif est inscrit au cœur des priorités du gouvernement de ce pays depuis une quinzaine d’années.
Du moins, c’est ce qu’ont laissé transparaître, jusqu’ici, les discours officiels. Pour contribuer à la matérialisation de cette ambition, le Port Autonome de Douala (PAD) a procédé, le 24 juillet 2023 à Douala, à la signature d’une convention de partenariat avec la Douala Port Fishing Terminal (DPFT), une société à capitaux privés nouvellement créée et devant opérer dans la filière halieutique sur la place portuaire de Douala, où la nouvelle entité établit son siège.
L’accord de développement, qui consacre aussi l’acte de constitution, a été signé par le directeur général du PAD, Cyrus Ngo’o et le président du conseil d’administration (Pca) de la DPFT, Moraud Zambo. Il s’inscrit dans le vaste programme de rénovation des installations et des équipements portuaires et vise à moderniser le terminal de pêche. Un projet jugé prioritaire dans le schéma de développement du port de Douala-Bonabéri.
Ce projet est un exemple de partenariat public-privé (PPP) du type Build, Operate and Transfer (BOT), entendez « construire, exploiter et rétrocéder ». Une pratique plutôt rare au Cameroun, pays ayant opté pour un modèle hyper décentralisé, mais a contrario très courant et fructueux dans d’autres pays, y compris le Nigéria voisin.
En d’autres termes, DPFT s’engage à injecter 131 milliards de francs CFA hors taxes, soit environ 222 millions de dollars dans le terminal de pêche. En contrepartie, la société va exploiter le terminal de pêche pendant 25 années avant de rétrocéder la plateforme rénovée au Port autonome de Douala, l’organisme public en charge de la gestion de ladite place portuaire.
L’acte de signature autorise plus spécifiquement DPFT à concevoir, financer, réhabiliter, moderniser, exploiter, assurer la maintenance des équipements et la remise à niveau du terminal de pêche qui lui est concédé.
Concurrencer Congelcam, couvrir près de 28% des besoins de protéines halieutiques du Cameroun
Le cahier de charges de la DPFT prévoit la réalisation des études de faisabilité, des études d’avant-projet Aps, Apd et Dce, la gestion et l’administration générale du projet de réhabilitation du terminal de pêche tombé dans la vétusté depuis des années, faute d’investissements adéquats, mais aussi la conduite des travaux de construction d’ingénierie envisagés par le PAD.
En outre, DPFT est autorisée à réaliser la pêche industrielle et la mariculture, l’importation, l’exportation et la distribution des produits halieutiques et de tous les autres produits nécessitant la chaîne de froid. Un segment où les sociétés Congelcam S.A et Fish and Co opéraient jusqu’ici dans une situation de quasi-monopole.
L’objectif final est de doter le Port autonome de Douala de nouvelles installations de traitement et de conservation des produits halieutiques tout en maîtrisant la chaîne de froid portuaire, et en arrimant la plateforme avec les normes et les standards internationaux. Les estimations ont été faites, et rien n’a été laissé au hasard.
Au bout des 25 années, le nouvel exploitant devrait engranger des bénéfices de 761,3 milliards de francs CFA soit 1,3 milliard de dollars. En termes de recettes totales de l’Etat (couvrant le Port autonome de Douala), le projet devrait générer des impôts et des taxes de l’ordre de 739,6 milliards de francs CFA (1,3 milliard de dollars) au profit du Trésor public.
Toujours en termes de projections, les investissements à effectuer devraient permettre au Cameroun de couvrir environ 28% de ses besoins en protéines halieutiques et générer 41,6% de la production nationale de poisson.
En 2021, le Cameroun a importé le poisson de mer congelé pour 134,3 milliards de francs CFA
En effet, en 2021, au plus fort de la pandémie du Covid-19, qui a affecté l’économie mondiale et plus particulièrement celle des pays les plus vulnérables, le Cameroun a déboursé jusqu’à 134,3 milliards de francs CFA pour importer le poisson de mer congelé.
Rien qu’au premier semestre de la même année, les importations globales du pays se chiffraient à 1824 milliards de F CFA et le volume des marchandises alimentaires importées était évalué à 5,07 millions de tonnes. Les produits alimentaires à eux seuls et les intrants agricoles coûtent à l’État 926,8 milliards de F CFA.
Répartis ainsi qu’il suit, hormis le poisson de mer congelé mentionné plus haut : 401,8 milliards pour les céréales ; 208 milliards pour le riz ; 182,7 milliards pour le blé et le méteil. Pour amortir le poids des dépenses d’importation des produits de pêche notamment, le gouvernement a délivré, en 2021, 34 avis techniques d’importation des produits halieutiques au profit de plusieurs opérateurs économiques locaux.
En février 2008, une hausse des prix de carburants et du pétrole lampant à la pompe de cinq francs avait provoqué une inflation généralisée sur les marchés, affectant rudement le panier de la ménagère et débouchant sur des scènes de violences urbaines.
Au lendemain de ces émeutes dites de la faim, les autorités camerounaises avaient adopté un train de mesures, au nombre desquelles, la subvention des cours des carburants, mais surtout, la suppression des droits de douane sur l’importation de certaines denrées alimentaires, dont le poisson et les céréales.
La demande nationale en poisson toujours insatisfaisante
Pourtant, selon le directeur général du Port autonome de Douala, s’exprimant le 24 juillet à Douala, lors de la signature de la convention avec DPFT,
En dépit de [ces] nombreuses mesures prises par le gouvernement au fil des années, notamment en termes de défiscalisation du poisson importé au Cameroun et d’incitations aux investissements dans le secteur de l’aquaculture et de la chaine de valeur aquacole, afin de garantir l’accès des ménages aux produits halieutiques de qualité, en quantité suffisante et à des prix réduits, l’on constate malheureusement que ces objectifs restent toujours loin d’être atteints.
« La production actuelle de poisson ne parvient toujours pas à répondre à la demande nationale de protéines halieutiques, en dépit du rythme accéléré des importations nationales de poisson congelé, d’une valeur annuelle d’environ 100 milliards de francs CFA »,
a en outre observé Cyrus Ngo’o. Dans un contexte où les importations agricoles et alimentaires ont atteint 23 % du volume total des importations nationales et 5% de l’enveloppe globale, en 2021, cette initiative ne peut qu’être louable et salutaire.