Ghana, Namibie, Zambie, République démocratique du Congo… tous ambitionnent de développer une chaîne de valeur lithium sur leur territoire afin d’engranger plus de revenus. Unique producteur jusque-là, le Zimbabwe qui attend 500 millions de dollars US de recettes cette année après une explosion de ses exportations de +170% sur les trois premiers mois de 2023, a également interdit la sortie du lithium à l’état brut de son sol, même si la mesure tarde à entrer en application.
Dans un rapport publié fin avril 2023, la Banque africaine de développement (BAD) encourage les pays africains à s’investir dans la production locale des batteries et véhicule électriques. Sinon, ils ne réussiront à capter qu’une portion congrue de 55 milliards de dollars US sur ce marché juteux estimé à 8 800 milliards de dollars US d’ici à 2025.
Seul pays d’Afrique à produire du lithium jusque-là, le Zimbabwe projette de glaner 500 millions de dollars US de revenus de l’exportation de ce métal précieux en 2023. Cette matière première constitue en effet la matière première de base dans la fabrication des batteries de véhicules électriques, qui sont d’un enjeu de taille dans la préservation du climat et la transition énergétique.
Sur les trois premiers mois de l’année, les exportations de lithium du pays ont explosé de près de +170% à plus de 29000 tonnes, contre seulement 10.000 tonnes à la même période un an plus tôt. Plusieurs investissements sont développés dans le pays, principalement par des entreprises chinoises, en parfaite contradiction avec la vision nationaliste du gouvernement du président de la République, Emmerson Mnangagwa, traduite par le gel des exportations de lithium non transformé en décembre 2022.
L’objectif selon les autorités était de contraindre les investisseurs à conserver tout au moins une partie de la chaine de valeur dans le pays, afin de lui permettre de mieux tirer profit de l’exploitation de cette manne au bénéfice des populations. Elles avaient d’ailleurs indiqué qu’une stratégie de transformation du lithium était en cours d’élaboration.
Un tel instrument est d’autant plus important que beaucoup d’autres pays africains sont en voie d’emboîter le pas au Zimbabwe dans l’exploitation du lithium. Or, dans ce pays d’Afrique australe, les entreprises chinoises Zhejiang Huayou Cobalt, Sinomine Resource Group et Chengxin Lithium Group ont obtenu des contrats d’exploitation en 2022, d’une valeur combinée de 678 millions de dollars US.
Elles continuent d’exporter de la matière première à l’état, au motif qu’elles développent également des usines de traitement. Le Ghana, lui, a d’ores-et-déjà prévenu les compagnies étrangères qui accourent sur son sol qu’il n’exportera pas sa production à l’état brut.
Le cœur de cette politique est de dire que, dans la mesure du possible, nous conservons une part importante de la chaîne de valeur et, si vous voulez m’entendre haut et fort, nous n’exporterons en aucun cas nos ressources de lithium sous leur forme brute. Nous n’exporterons pas non plus nos minéraux verts à l’état brut,
a averti le ministre des Terres et des Ressources naturelles, Samuel Jinapor, cité par l’agence Ecofin. C’était en marge de la dernière édition du forum Bloomberg New Economy Gateway Africa, tenu au Maroc courant juin 2023. Cette sortie coïncide pourtant avec le projet d’Atlantic Lithium, le géant minier australien qui annonce le début de l’exploitation de la toute première mine de lithium du Ghana, située près du port en eau profonde de Takoradi, dans le sud-ouest du pays.
Coût de l’investissement : 185 millions de dollars. L’étude de préfaisabilité définitive du projet publié en juin dernier a conclu que cette mine pourrait rapporter jusqu’à 6,56 milliards de dollars US sur 12 ans. Et beaucoup plus si les autorités parvenaient à faire développer sur place une chaîne de valeurs lithium.
Début juin, la Namibie qui entend développer une industrie locale de transformation a elle aussi interdit l’exportation de lithium non transformé et tous les autres minerais critiques, à l’instar du cobalt et du manganèse. Idem pour la République démocratique du Congo (RDC), dont l’ambition affichée est d’attirer le plus d’investisseurs possible sur place pour lancer l’exploitation et la transformation de ses 132 millions de tonnes de réserves de lithium.
Le pays pourrait devenir la première puissance mondiale en la matière, devant l’Australie qui est le premier producteur actuel de ce minerai. L’une des plus grandes compagnies déjà installées pour l’exploitation en RDC, c’est l’australienne AVZ Minerals. Elle n’a pas choisi moins que la réserve de lithium de roche dure de Manono – la plus importante au monde.
L’an dernier, ce pays qui s’est forgé une réputation de fournisseur de matières premières aux grandes compagnies minières internationales a signé l’an dernier un accord historique avec la Zambie, visant le développement d’une zone économique transfrontalière entre le Haut-Katanga côté RDC et la province zambienne de Copperbelt (Nord). Les deux pays comptent y développer les infrastructures essentielles, notamment des voies de communication et des installations électriques, avant de lancer la fabrication des modèles d’éléments de batteries électriques.
Bras de fer
Un Centre africain d’excellence sur les batteries (CAEB) a même vu le jour à Lubumbashi, dans la province du Katanga. Dans un premier temps, prévoit le gouvernement de la RDC, les compagnies en activité dans le pays vont réserver une partie de leur production à la transformation locale.
Parmi les pays du continent dont les recherches ont confirmé qu’ils disposent de réserves de lithium, seul le Mali ne s’est pas encore prononcé en faveur de la transformation du précieux métal sur son sol. La junte militaire au pouvoir dans ce pays a donné le feu vert aux compagnies australienne (Leo Lithium) et chinoise (Ganfeng Lithium) pour exploiter dès 2024 la mine de Goulamina (dans le Sud), d’une capacité de 500.000 tonnes de spodumène par an.
Les signaux d’un réveil de l’Afrique s’allument. Mais, les pays devraient avancer en rang serré s’ils souhaitent remporter le bras de fer que vont leur livrer les multinationales qui, lorsqu’elles ne contrôlent pas directement les marchés financiers, tiennent en bride les dirigeants africains au travers de réseaux d’influences dans leurs Etats.
En effet, se départir du statut de pourvoyeurs des matières premières dans le but de mieux tirer profit des enjeux et opportunités du lithium et plus globalement de la transition énergétique en transformant localement ce métal ne sera pas si simple. Il y a des financements importants à mobiliser par les Etat, des investissements à consentir dans le capital humain, entre autres contraintes qui ne pourront être levés qu’au bout d’interminables négociations avec les compagnies et lobbies miniers.
La Banque africaine de développement (BAD) semble elle-même sur le pied de guerre. Dans un rapport qu’elle a publié il y a quelques mois, en avril 2023, l’institution panafricaine signale que l’Afrique ne devrait parvenir à capter que 55 milliards de dollars US en exportant son lithium à l’état brut. Or, le marché des batteries et véhicules électriques représenterait jusqu’à 8 800 milliards de dollars US d’ici à 2025.
Selon l’entreprise minière australienne Rio Tinto, la moitié des véhicules produits dans le monde à l’horizon 2030 seront des électriques, contre à peine 9% actuellement. L’intérêt des Etats est donc dans l’accroissement de leur participation dans les chaînes de valeurs.