Afin de limiter cette tendance aux importations et de ne plus subir le diktat des pays producteurs, le continent africain doit saisir l’opportunité d’utiliser des farines faites à base de denrées locales comme alternative au blé dont la pénurie est exacerbée par la persistance du conflit russo-ukrainien.
Cinq familles de plantes sont pourvoyeuses de ces farines utilisées dans la boulangerie, la pâtisserie et bien d’autres diversités culinaires. Il s’agit des farines à base de céréales telles que le sorgho ou fonio, le mil, le maïs, le mil, le riz, etc. Ensuite, celles à base de tubercules, comme le manioc, le macabo, le taro, la patate, l’igname.
Puis les légumineuses, principalement la cornille et le niebé ( une sorte de haricot). Enfin, celles fabriquées à base de fruits comme le plantain et dans une certaine mesure la banane-plantain et les feuilles légumières (feuilles de baobab, etc).
Selon la revue « Hérodote 2015 », publiée par les éditions « La Découverte », la demande mondiale de blé a doublé entre le début de la décennie 1970 et les années 2010, passant de 330 à environ 700 millions de tonnes par an. Toujours à en croire la même source, la consommation de cette matière première qui entre dans la fabrication de nombreux produits alimentaires devrait même dépasser, à l’échelle de la planète, la barre de 900 millions de tonnes.
S’il est alors vrai que la demande de cette céréale va croissante, il n’en demeure pas moins vrai en revanche que sa culture reste localisée dans certaines sphères géographiques, notamment l’Union européenne qui assure 20% de cette production (soit environ 145 millions de tonnes). Ce qui la situe au premier rang des producteurs mondiaux, juste devant la Chine (122 millions de tonnes), l’Inde, les Etats-Unis et la Russie.
De nombreux autres pays comme ceux d’Afrique étant quant à eux réduits à importer cette denrée, faute de production locale subséquente. Des importations qui également à l’instar de la tendance mondiale iront croissant eu égard à l’augmentation de la population africaine et des changements des comportements alimentaires.
Selon la Banque africaine de développement (Bad) en effet, l’Afrique sub-saharienne devrait importer dans les 10 prochaines années entre 09 et 11 millions de tonnes de blé. Soit entre 40 et 50% de plus que le niveau actuel de ses importations, tandis que l’Afrique du Nord devrait importer environ 04 millions de tonnes. Soit 16% de plus.
Conflit-russo-ukrainien
Une situation de dépendance qui a pour effet néfaste d’accroitre la vulnérabilité des pays du continent noire, qui à en croire las Nations-Unis, risquent de se trouver dans une situation d’insécurité alimentaire avec l’enlisement du conflit entre la Russie et l’Ukraine (le premier fournissant l’Afrique en blé à hauteur de 32% contre 12% pour le second).
En effet, les récentes données de l’Unctad, basées sur la période 2018-2020, indiquent que pas moins de 25 pays africains importent plus du tiers de leur blé de Russie et d’Ukraine, et 15 d’entre eux importent plus de la moitié. Deux nations affichent même une dépendance totale à savoir, le Bénin, qui importe 100% du blé russe et la Somalie qui se fournit à hauteur de 70% en Ukraine et de 30% en Russie.
D’autres pays comme le Soudan (75%), la RDC (68%), et le Sénégal (65%), s’appuient également beaucoup sur ces deux sources d’approvisionnement en majorité tournées vers la Russie. D’autres pays tels que la Tunisie, la Mauritanie et le Soudan dépendant quant à eux en grande partie du blé ukrainien.
Au Sénégal par exemple, selon « l’Agenda de développement rural », publié le 17 mai 2022, le pays dépend énormément des importations pour satisfaire ses besoins en consommation de blé estimés à 180 000 tonnes par an pour une valeur de 270 millions de dollars US soit 160 milliards de francs CFA. L’Egypte, le premier importateur mondial de blé, à en croire « Africa.Ipri.Info », importe un total de 12 à 13 millions de tonnes de blé par an. Toute chose, indique la même source, qui fait perdre environ 5,7 milliards de dollars par an à ce pays d’Afrique du Nord.
Avec le refus de la Russie de reconduire l’accord qui règle les exportations des céréales ukrainiennes transitant par la mer noire, cette situation d’insécurité alimentaire sur le continent noir risque donc de s’empirer surtout en Afrique du Nord. La sous-région, première zone importatrice du blé dans le monde, jusqu’à 30 millions de tonnes de blé par an.
Certains pays d’Afrique du Nord comme l’Egypte, le Maroc, la Tunisie ou la Mauritanie sont effectivement des gros consommateurs de blé. Ces pays là risquent de souffrir à long terme d’une nouvelle augmentation des prix de cette céréale,
indiquait au micro de TV5 Monde, Nicolas Brico, chercheur en socio-économie de l’alimentation au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et par ailleurs titulaire de la chaire Unesco, Alimentation du Monde.
Solutions africaines
Pourtant, de nombreuses céréales ou légumineuses cultivées en Afrique surtout au Sud du Sahara pourraient permettre tout au moins de réduire les importations de blé et par ricochet d’éviter les pertes de devises tout en contribuant au renforcement de la sécurité alimentaire. Les pays devraient alors miser sur leur « gastrodiversité ». Autrement dit, sur la pluralité de leurs spécialités alimentaires.
Cinq familles de plantes sont donc pourvoyeuses de ces farines utilisées dans la boulangerie, la pâtisserie et bien d’autres diversités culinaires. Il s’agit en premier lieu, des farines à base de céréales telles que le sorgho ou fonio, le mil, le maïs, le mil, le riz, etc.
Ensuite, celles à base de tubercules, comme le manioc, le macabo, le taro, la patate, l’igname. Puis les légumineuses, principalement la cornille et le niebé ( une sorte de haricot). Enfin, celles fabriquées à base de fruits comme le plantain et dans une certaine mesure la banane-plantain et les feuilles légumières (feuilles de baobab, etc).
Pour pallier à l’absence de farine de blé sur le continent, des chercheurs et ingénieurs agronomes suggèrent d’utiliser 30% de farine locales pour par exemple fabriquer une baguette de pain. En octobre 2019, le gouvernement togolais encourageait déjà l’utilisation des produits locaux dans la boulangerie et la pâtisserie.
L’intention avait été matérialisée par un arrêté interministériel, signée des ministres en charge de l’Agriculture, de la Santé et de l’Hygiène publique ainsi que de la Promotion de la consommation locale. Ainsi,
les boulangeries et autres sont désormais tenus d’incorporer pour la fabrication du pain français et autres denrées alimentaires, de la farine panifiable de manioc, d’igname, de céréales locales dans la farine de blé.
Cet ajout de farine à base de produit locaux doit se faire, précise la note officielle, « à des proportions variant de 15 à 50% ».
Daniel Agblevon, un pâtissier togolais a même mis en place une boulangerie qui expérimente de nouvelles recettes à base de produits autres que la farine de blé. A la tête de cette unité dénommée « Glory bread », située à quelques kilomètres de Lomé, l’entrepreneur fait des pâtisseries à base de farine de manioc, d’igname, de moringa, de patate douce, etc. pains, croissants, biscuits, toutes ces pâtisseries sont constituées entre 70 et 100% de farines locales.
Toujours en Afrique de l’Ouest, les boulangers de la région se sont joints à ceux du Sénégal à Dakar pour une rencontre le 19 juillet 2021. L’objectif étant de créer une confédération de la boulangerie qui pourra promouvoir « l’incorporation des denrées locales dans la fabrication du pain à hauteur de 15% », a indiqué dans les colonnes du« courrier du Vietnam », Marius Abé Aké, le président de la fédération des boulangers de Côte d’Ivoire. Une décision qui intervient après une subvention en 2022 de 11 millions de dollars US soit 6,4 milliards de francs CFA aux meuniers pour l’importation de la farine de blé.
Une somme qui n’a pas empêché au prix du blé d’augmenter dans ce pays qui, à en croire le journal « Le Monde », recensait en 2018 plus de 2000 boulangeries, dont plus de la moitié à Abidjan, pour un marché qui représentait plus de plus de 170 millions de dollars US soit 100 milliards de francs CFA.
Raison pour laquelle, l’alternative toute trouvée pour suppléer à la cherté et la rareté du blé est donc de « faire de la boulangerie africaine, pour contribuer à baisser les coûts de fabrication, lutter contre la pauvreté et nous épargner de mouvements sociaux dommageable », va ajouter Marius Abé Aké.
C’est également pour les mêmes raisons que les gouvernements des pays comme le Nigéria ont exigé aux boulangers, l’incorporation de 10% de farines locales dans la fabrication du pain.
Au Cameroun par exemple, le gouvernement tente désormais d’intégrer les farines locales dans les habitudes alimentaires des populations. Afin d’en promouvoir la production, il a remis sur les rails la plateforme des promoteurs des farines locales qui se veut être un cadre de collaboration pour la mutualisation des efforts et le développement desdites farines. Ceci, en conformité avec les orientations de la Stratégie nationale de développement 2020-2030, notamment la transformation structurelle de l’économie camerounaise par la politique d’import-substitution.
Grace à cette plateforme, l’Etat camerounais espère produire 05 millions de tonnes de farine locale de qualité à l’horizon 2030 et de ce fait, réduire considérablement les importations de blé. Car, selon une récente étude menée par le Bureau de mise à niveau des entreprises (BMN), en 2020, uniquement ce pays d’Afrique centrale, ( 30ème au dernier classement des pays africains producteurs de blé effectué par l’Organisation des Nations-Unis pour l’Alimentation et l’Agriculture) a importé 830 000 tonnes de cette céréale, pour la somme de 253 millions de dollars US soit 150 milliards de francs CFA.
Pâtisseries locales
Outre les réductions des quantités de blé à utiliser pour la fabrication du pain, des gâteaux et autres denrées alimentaires, la promotion des pâtisseries locales déjà bien ancrées dans les habitudes africaines est fortement recommandée.
Au Cameroun par exemple, il existe plus de 10 variétés de pâtisseries locales. L’une des plus connues est sans aucun doute le pain Kumba (Kumba bread en anglais), fait entièrement ou en partie avec la farine de patate, de la margarine et du sucre. Comme son nom l’indique, ce pain de mie de la forme d’une briquette vient de la ville de Kumba dans la région du Sud-Ouest Cameroun. Il est lui même une variable de l’ « Agege bread », introduit au Nigéria par le Jamaïcain Amos Shackleford, à en croire le documentaire « where did Agege Bread come from »
Aussi, les beignets font partie du quotidien des Africains. Ce sont des pâtisseries qu’on rencontre partout sur le continent. Ils sont entre autres faits à base de manioc, d’igname, de maïs, se sorgho, de millet, etc.
Disponibilité des matières premières
L’Afrique peut donc miser sur les farines locales afin de suppléer aux pénuries de blé. Toutefois, ces objectifs ne peuvent être atteints que si les Etats investissent ou incitent les particuliers à investir. D’abord dans la production de ces matières premières (tubercules, céréales, fruits, etc) nécessaires. Ensuite dans la transformation de celles-ci avec l’aide des minoteries, de nombreux pays n’étant pas suffisamment dotés d’une industrie de transformation de ces denrées.
Dans la plupart des pays, les meuniers sont seuls à opérer dans le secteur bien que leur spécialité soit la transformation du blé. Au Cameroun, ils ont demandé au gouvernement la mise en place d’un outil de production adapté car malheureusement, l’outil utilisé pour la transformation du blé n’est pas destiné par exemple au manioc ou à la patate.
Mais avant même de penser à l’équipement des meuniers, un défis de taille reste à relever : celui de la production industrielle de ces matières de base de façon à ce que les besoins de subsistance des individus et ceux des industries soient satisfaits.
Par exemple, s’il faut respecter rien que le quota d’incorporation de 10% de farines de patates ou d’ignames ou encore de manioc pour ne citer que ces cas, la proportion doit être suffisamment disponible afin d’éviter la raréfaction de ces matières premières et de pénaliser ceux qui les utilisaient déjà à d’autres fins.