Le 24 novembre 2018, le Premier ministre congolais d’alors, Bruno Tshibala, avait signé un décret déclarant trois minerais extraits sur ce territoire comme étant des « substances minérales stratégiques » en République démocratique du Congo. Il s’agit du coltan, du germanium et du colombo-tantalite. La prise de la décision par les autorités de Kinshasa n’est pas un fait banal et encore moins une fantaisie, mais induit des actions conséquentes.
A partir de la date de signature du décret, les conditions d’accès, de recherche, d’exploitation, et de commercialisation de ces substances sont censées obéir à une règlementation particulière qui est fixée par un arrêté signé conjointement par les ministres fortement impliqués dans la gestion de ce minerai rare et précieux, notamment le ministre des Mines et son homologue des Finances.
Autant la République démocratique du Congo déclarait cette ressource de son sous-sol « stratégique » au regard de ses enjeux commerciaux, autant l’Union européenne et le reste des pays industrialisés en font depuis quelques années une ressource critique. Ressource essentielle dans les technologies du futur, le coltan est en effet au cœur de grands enjeux géostratégiques mondiaux de l’heure.
Aussi son exploitation et son exportation nourrissent-elles les appétits des grandes puissances de la planète. Car le métal est une source importante pour la production du tantale et, plus accessoirement, du niobium. Le tantale a la vertu de résister à la corrosion et il est pour cela très sollicité par les industries de l’électronique et de l’aéronautique.
Un métal déclaré « stratégique » et « critique »
Critique et stratégique, car ce métal est l’une des composantes essentielles dans la fabrication de condensateurs pour les équipements et la composition d’alliages de cobalt et de nickel, et de filtres à onde de surface, utilisés dans les téléphones mobiles ou les ordinateurs. Les pays industrialisés ont besoin de ce métal, par exemple, pour la fabrication des réacteurs d’avion.
On l’utilise aussi comme revêtement dans les échangeurs de chaleur et dans des alliages pour les outils de coupe et de tournage. Le coltan, l’étain et le tungstène font partie d’une même famille connue sous le nom des 3T. Il est proche autant du niobium que du tantale, de par leurs propriétés physico-chimiques. Le secteur de l’électronique utilise 60% à 80% de la production de tantale pour la fabrication de composants électroniques.
Ces métaux sont indispensables. A tel point que, soulignent des acteurs du marché, une pénurie mondiale suivie d’une inflation consécutive à une flambée généralisée des prix de ce métal issu du cobalt, avait empêché la fabrication de la Play Station 2 de Sony en quantité suffisante en 2000.
C’est dire à quel point le coltan et l’ensemble de ses dérivés constituent des ressources vitales et donc incontournables. L’on prête au tantale des propriétés utiles pour les superalliages en conditions sévères dans les missiles, les fusées et les avions du fait de sa résistance aussi bien à la chaleur qu’à la corrosion.
La RDC héberge 60% des réserves mondiales
Qualifié de « scandale géologique », la République démocratique du Congo héberge dans son sous-sol plus de la moitié des réserves mondiales de coltan. Les réserves du pays sont estimées à 60% à 80% des réserves mondiales, et le pays a produit 40% de l’offre mondiale de coltan en 2019.
En 2019, 40 % de l’offre mondiale de coltan a été produite en République Démocratique du Congo,
indiquait, au cours de la même année, un rapport de l’Institut d’études de sécurité (ISS). Les réserves restantes sont partagées entre l’Australie, le Brésil, le Canada, l’Espagne, la région de l’Orénoque au Vénézuela, et la Chine.
Le coltan, la cassitérite et le wolframite, trois produits stannifères communément appelés 3T (Tin, Tantalum et Tungsten), sont extraits dans les provinces de l’Est et du Sud-Est du pays, précisément du Maniema, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Haut-Katanga, Haut-Lomami, Lualaba et Tanganyika. La province du Kivu, au nord de la RDC, abrite la plus forte concentration des réserves de coltan du pays.
Soit 1 106,42 tonnes pour le Nord-Kivu et 182,29 tonnes pour le Sud-Kivu. Or, la proximité de ce territoire avec le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie, les conflits armés qui en résultent, ne permettent pas une jouissance saine et paisible de cette ressource par le pays producteur.
La République démocratique du Congo est au cœur d’activités de pillage systématiques de ses minerais. Résultat de la course, en 2021, la production industrielle du coltan est évaluée à 148,72 tonnes en RDC, soit à peine 11% du volume global du pays au cours de la même année, selon les statistiques communiquées par le ministère des Mines de ce pays des Grands Lacs.
En revanche, la production industrielle de ce métal vital est de 1 291,03 tonnes et représente 89% de la production nationale. C’est donc un volume total d’environ 1.439,79 tonnes de coltan qui a été produit en 2021 en RDC, selon un rapport de la Banque centrale du Congo (BCC) se référant aux données publiées par le ministère des Mines.
Fraudes minières
Au premier trimestre de l’année 2023, la production de coltan en République démocratique du Congo est estimée à 273, 83 tonnes. Le pays en a exporté 450,82 tonnes, qui ont généré des recettes de 16,5 millions dollars, bien que la production soit toujours essentiellement tournée vers le secteur artisanal.
Si la production industrielle en Rdc est principalement assurée par la société SBM, il y a lieu de s’interroger sur la destination des métaux pourtant soumis aux normes d’étiquetage au moment où ils sortent du territoire. Les recettes engrangées dans l’exploitation et la commercialisation du coltan sont un menu fretin au regard de l’importance des réserves et de l’activité d’extraction.
La filière est envahie par des milices profitant de la situation de guerre permanente pour piller les ressources. Résultat, la RDC a perdu 1 milliard de dollars US découlant des activités de fraudes minières, tous minerais confondus. Le ministre congolais des Fiances a fait cette annonce effroyable en septembre dernier.
Le Rwanda n’est pas officiellement reconnu comme un pays producteur du coltan. La preuve, jusqu’en 2011, aucun volume de production ou d’exportation de ce métal n’est attribué à ce pays. Pourtant, dès 2012, une étude classe le pays de la région des Grands Lacs parmi les pays exportateurs, avec notamment 341 tonnes de coltan.
Le volume est de 940 tonnes en 2013 ; 265 tonnes en 2014 ; 614 tonnes en 2016 et 318 tonnes en 2017. 2015 étant une année de passage à vide. En mi-2022, l’ONG Global Witness dénonçait les pratiques de pillage, de blanchiment et de corruption politique en RDC bénéficiant de la complicité des plus hautes autorités des deux pays mais surtout du Rwanda.
Dans une étude intitulée « La laverie ITSCI : comment un système de diligence raisonnable semble blanchir des minéraux de conflits » (en anglais « The ITSCI Laundromat : How a due diligence scheme appears tolaunder conflict minerals »), Global Witness accusait l’initiative International Tin Supply Chain Initiative (ITSCI), d’agir en complicité avec des opérateurs du secteur minier congolais pour faciliter le blanchiment des ressources de ce pays.
En tant que chaîne d’approvisionnement de l’étain, ITSCI est pourtant un mécanisme ayant la charge de fournir une chaîne de traçabilité fiable des minerais 3T.
Un acteur clé du lancement du programme ITSCI au Rwanda estime que seulement 10% des minerais exportés par le pays [Rwanda, Ndlr] avaient réellement été extraits sur son territoire, les 90% restants ayant été introduits illégalement à partir de la RDC,
précisait l’étude.
Rwanda, 1er exportateur mondial
Le Rwanda a tiré 134,5 milliards US de recettes d’exportations en 2013. Global Witness disait tenir de ses sources que celles-ci
avaient à plusieurs reprises, depuis 2013, des délégations d’entreprises internationales, dont Apple et Intel, que les minerais 3T provenant de la contrebande représentaient jusqu’à 90% des minerais exportés du Rwanda, en leur fournissant des preuves
Elle déclarait alors avoir effectué des recherches de terrain dans plus de dix zones minières à travers le Nord et le Sud-Kivu en RDC, ainsi que des entretiens avec plus de 90 membres du gouvernement, du secteur minier, de la société civile et du monde universitaire, et a analysé des dizaines de vidéos filmées par des chercheurs locaux.
Citant quelques-unes de ces sources du secteur minier en RDC et au Rwanda, l’Ong affirmait dans son rapport que « le gouvernement rwandais a parfaitement conscience que les volumes de production sont artificiellement gonflés par la contrebande ».
Ou encore que
la majeure partie des minerais étiquetés proviennent de mines non validées situées sur les territoires voisins, y compris des mines occupées par des milices et mobilisant fréquemment le travail d’enfants ». Des accusations dont se sont défendues les autorités rwandaises.
Pourtant, chose curieuse, la compagnie américaine AB Minerals, installée dans la région depuis quelques années, avait annoncé, en 2016, la construction de la première usine de traitement de coltan au Rwanda. Il s’agissait de la toute première du genre. En 2013, les recettes d’exportations du coltan pour le Rwanda (le pays est le premier exportateur mondial !) se chiffraient à 134,5 milliards de dollars pour 2,466,025 kilogrammes de tantale exporté soit 28% de la production mondiale.