La santé est l’un des enjeux majeurs en Afrique. Sur les 57 pays du monde souffrant d’une pénurie critique de personnels de santé, 36 se trouvent en Afrique soit 0,21 médecins pour 1 000 habitants, selon l’Organisation des nations unies (ONU). D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
l’Afrique compte actuellement 24% des malades dans le monde pour seulement 3% de l’effectif mondial des professionnels de santé.
En zone subsaharienne, l’on compte seulement 145 000 médecins pour une population de 821 millions de personnes. C’est dire les limites du système de santé africain. Le continent n’a pas encore achevé sa transition épidémiologique. Toutefois, il doit faire face à de nombreux défis : éradiquer les maladies endémiques (telles que le SIDA, le paludisme ou la tuberculose) et lutter contre le développement de maladies chroniques (diabète, cancer). À ces pathologies, s’ajoutent les nouvelles maladies infectieuses émergentes (COVID-19, Ebola, Lassa, Variole du singe, etc.). Cette situation est sans doute liée à la question du financement du système de santé sur le continent.
La plupart des pays africains n’ont toujours pas atteint les objectifs fixés dans la Déclaration d’Abuja (2001), dans laquelle les gouvernements se sont mis d’accord sur l’allocation de 15 % de leur budget national à la santé,
indique le Dr Hammadoun Dia, coordonnateur national du Projet de santé numérique, PNUD Mali.
Pour faire face à ces nombreux défis, des efforts sont consentis par les politiques nationales et internationales. L’algorithme de dépistage du VIH/Sida à trois tests, lancé au Cameroun il y a quelques semaines en témoigne.
La transition numérique
Dans un contexte où le monde tend vers la digitalisation, la santé numérique pourrait constituer une chance pour le développement des systèmes de santé africains. La santé numérique comporte de nombreux avantages. Selon le Dr Hammadoun Dia, elle contribue à une meilleure prise en charge des patients (aide au diagnostic et à la prescription), à l’augmentation des recettes des centres de santé (pharmacie, laboratoire, bureau des entrées), à la disponibilité des données de qualité pour les décideurs.
La télémédecine permet également de diminuer les références et les coûts des soins, ainsi que de faciliter l’accès aux rares spécialistes dans les zones rurales où, l’accès aux soins de qualité reste un luxe.
Étant entendu que les technologies de l’information et de la communication sont porteuses de possibilités et de difficultés nouvelles pour la réalisation des 17 objectifs de développement durable (ODD), on note un consensus de plus en plus large dans la communauté sanitaire mondiale sur le fait que l’utilisation stratégique et novatrice des technologies numériques et des technologies de pointe en matière d’information et de communication sera un facteur essentiel qui permettra d’atteindre l’objectif du « triple milliard » de l’OMS, soit un milliard de personnes supplémentaires bénéficiant de la couverture sanitaire universelle, un milliard de personnes supplémentaires mieux protégées face aux situations d’urgence sanitaire, et un milliard de personnes supplémentaires bénéficiant d’un meilleur état de santé et d’un plus grand bien-être,
renseigne la Stratégie mondiale pour la santé numérique 2020-2025 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Des initiatives encourageantes
En 2020, en collaboration avec d’autres agences du système des Nations unies dont l’OMS et l’Université de Sherbrooke, le PNUD Mali a initié le « projet énergie solaire, télésanté et protection sociale pour transformer la santé communautaire au Mali ». Ce projet de santé digitale (SanDi) a permis de renforcer l’infrastructure nationale de télémédecine, l’adoption d’un plan stratégique national de santé numérique et la mise en place d’une plateforme nationale de coordination de santé numérique entre autres.
Le projet SanDi a également fourni des sources d’énergies renouvelables (panneaux photovoltaïques), ainsi que du matériel informatique et des logiciels pour une amélioration de la prise en charge des patients et un meilleur accès aux soins (dossier médical informatisé, dossier laboratoire, système de gestion de la pharmacie, modules administratifs et financiers, téléconsultation, formation continue, etc.) aux centres de santé bénéficiaires du projet.
Cette phase pilote du projet SanDi a été implémentée dans les régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Bandiangara et le District de Bamako. Elle concerne sept centres de santé de référence et 21 centres de santé communautaire.
Les grossesses 2.0
Le numérique a également pris d’assaut la lutte contre la mortalité infantile et maternelle. Des start-ups proposent des solutions de santé innovantes dans ce sens. En effet, toujours d’après l’OMS, en 2050, le continent comptera 41% des naissances mondiales, 40% des enfants de moins de cinq ans et un quart de la population mondiale. Dans ce contexte, l’urgence de diffuser les bons messages de prise en charge par le biais de services adaptés se fait ressentir.
« Gifted Mom » propose donc la solution au continent. Lancée en 2013 par Alain Nteff, un jeune camerounais, la plateforme en ligne a pour objectif d’aider les femmes enceintes et les jeunes mères vivant dans les zones reculées du pays. Pour ce faire, elles reçoivent régulièrement des informations médicales et bénéficient d’un suivi pré et postnatal en s’abonnant au service. L’application leur rappelle les dates importantes, comme les visites médicales pendant et après la grossesse ainsi que les dates de vaccins des nourrissons. Outre la communication mobile, les services sont aussi complétés par des outils vocaux et des centres d’appel. En effet, alors qu’on estime qu’une femme sur deux ne sait pas lire sur le continent, la communication orale et en langue vernaculaire est une donnée essentielle pour une prise en charge réussie.
C’est pourquoi la jeune start-up travaille aussi avec une équipe de médecins qui répondent aux questions des utilisatrices à travers une hotline téléphonique. Ces derniers peuvent également les réorienter vers les centres de soins les plus proches en cas de complications, selon PwC Afrique Francophone Subsaharienne. Le continent est de plein pied dans l’univers de la télémédecine même si ces initiatives font face aux problèmes d’accès internet.
Des difficultés
Ces efforts restent impuissants face aux défis de la télémédecine sur le continent. Soutenue par une croissance démographique importante, la demande médicale peine à trouver les réponses adéquates. La raison, le manque de financement, de formation et d’infrastructures. Ces insuffisances constituent une entrave à une prise en charge de populations inégalement réparties sur les territoires.
Cette solution semble viable puisque de plus en plus la pénétration du téléphone mobile va bon train sur le continent. La GSM Association estime que d’ici 2025, l’Afrique subsaharienne comptera au moins 634 millions d’utilisateurs de mobile. La santé numérique offre donc des opportunités conséquentes d’investissements. Certains l’ont compris. Des Start Up axées sur la santé numérique ont vu le jour sur le continent noir. L’application « Prévention Ebola » lancée en pleine épidémie pour informer les gens sur le virus dans plusieurs langues locales en est une illustration. Autre exemple en Tanzanie, avec l’application numérique « AfyaData », qui permet de signaler les épidémies et de les cartographier.
Ces applications transmettent des informations qualitatives et adaptées aux potentiels patients. L’autre véritable atout de ces nouvelles technologies réside dans le traitement des données. Les experts qui analysent ces datas peuvent par exemple informer les autorités, proposer des outils de mise en relation avec des spécialistes ou vérifier les stocks de médicaments. C’est d’ailleurs l’objet de l’application MedAfrica qui permet de s’assurer de la disponibilité d’un produit en pharmacie, et de M-pedigree qui identifie les médicaments contrefaits.
Toutefois, ces initiatives se heurtent aux problèmes d’accès à internet. Au cours du premier semestre de l’année 2024 par exemple, de nombreux pays à travers l’Afrique ont subi une panne majeure sur leur réseau internet. Les raisons évoquées par les fournisseurs sont la défaillance de plusieurs câbles de télécommunications sous-marins. En mars dernier, la société d’analyse Internet Cloudflare signalait que les interruptions touchaient fortement au moins 10 pays d’Afrique de l’Ouest, dont la Côte d’Ivoire, le Liberia, le Bénin, le Ghana et le Burkina Faso.
La majorité du trafic internet transite à travers le monde via des câbles de fibre optique sous-marins (le West Africa Cable System (WACS), l’Africa Coast to Europe (ACE), et MainOne). L’un d’entre eux, long de 15.000 km, part du Portugal pour relier Le Cap en Afrique du sud.
Le défi de l’accès à l’électricité
L’électrification du continent africain constitue également une entrave au déploiement de la télémédecine en Afrique. En 2010, 84 % de la population mondiale avait accès à l’électricité. Ce pourcentage est passé à 91 % en 2021. Toutefois, cette croissance a ralenti entre 2019 et 2021 par rapport aux années précédentes. Les efforts d’électrification des zones rurales ont contribué à ces progrès, même si un écart important subsiste dans les zones urbaines. Lequel écart est encore plus important avec l’Afrique. Selon la Banque mondiale, 567 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’avaient pas accès à l’électricité en 2021. Ce qui représente plus de 80e% de la population mondiale dépourvue d’accès à l’électricité.
La problématique de l’accès aux soins de santé de qualité se pose avec acuité dans les zones rurales en Afrique. Avec l’enclavement, la télémédecine apparaît comme une solution aux problèmes de l’accès aux soins de santé de qualité. Son déploiement sur le continent est entravé par un réseau électrique quasi inexistant dans certaines zones. Les défaillances dans ces secteurs cruciaux pour l’émergence de la médecine numérique en Afrique raisonnent comme un appel aux investisseurs.