Mais alors que le Soudan, premier fournisseur mondial, s’enlise dans une guerre dont l’issue reste incertaine, les gros clients de la gomme arabique brute lorgnent de l’autre côté du Sahel à savoir le Tchad et le Mali. Alors que la tonne était vendue à environ 1 800 dollars en 2022, elle atteindrait les 3 000 dollars en 2024.
Surnommée « poudre d’or » au 18ème siècle, la gomme arabique est une résine naturelle et végétale provenant de l’acacia, très prisée pour ses vertus reconnues depuis des millénaires. Elle est comestible, également à usage médicinal, artisanal et industriel. C’est un précieux ingrédient dans l’industrie agroalimentaire notamment dans la fabrication des boissons, des confiseries et des bonbons.
Ainsi que dans l’industrie cosmétique, pharmaceutique, papetière, et l’industrie de la peinture. Outre quelques contrées d’Asie du sud-est et dans la péninsule arabique, cette gomme pousse abondamment en Afrique : un peu au Maghreb, mais surtout dans la bande sahélienne, du Sénégal à l’Erythrée, avec une forte concentration de la production au Soudan.
Le Soudan enregistre 70% des exportations brutes mondiales
La gomme arabique du Soudan représente 70% des exportations brutes mondiales. Près de la moitié de la production soudanaise (49,3%) est originaire de la région du Kordofan. Les régions de Kassala (24,4%), du Darfour (23,4%) et du Nil blanc et bleu (2,9%) représentent l’autre moitié. En 2019, le Soudan a exporté la gomme principalement vers l’Union européenne (51 060 900 kg), l’Inde (13 414 300 kg) et le Royaume-Uni (3 299 710 kg).
Jusqu’en 2009, un monopole existait au Soudan : la Gum Arabic Company, détenue en partie par l’État, était la seule entité autorisée à exporter la marchandise. Aujourd’hui, le marché est assez libéralisé, où des entités privées nettoient, trient, classent et emballent la gomme dans des installations de traitement.
Un marché dynamisé par l’Europe, l’Asie et l’Amérique
Au Soudan, les plus gros clients sont les Français et les Indiens qui « importent les trois quarts de la gomme arabique brute » dans le monde, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Les compagnies françaises Nexira, (leader mondial de la gomme transformée) et Alland & Robert, (une entreprise familiale basée à Saint-Aubin-sur-Gaillon, dans l’Eure) achèteraient chaque année environ 50% de la gomme soudanaise.
Outre les Français, plusieurs autres groupes européens sont très actifs sur le marché soudanais. C’est le cas notamment de l’irlandais Kerry Group, le Suédois Gum Sudan Co., ou encore le néerlandais FOGA Gum. Leur marché étant très demandeur avec une consommation dans la vie quotidienne des ménages. Les Indiens y sont également actifs à travers plusieurs compagnies. D’ailleurs, pour tirer parti de la demande abondante sur le marché indien, Alland & Robert a noué une joint-venture avec le groupe indien Sayaji en 2019, pour satisfaire la demande de la gomme arabique sur ce marché d’Asie du Sud. Les asiatiques en général, notamment la Chine, utilisent beaucoup cet ingrédient dans la fabrication de certains médicaments.
De janvier à octobre 2023, les exportations de gomme du Soudan vers les quatre premiers importateurs (France, Inde, Usa et Allemagne) n’ont pas atteint les niveaux de 2022. La France, premier acheteur au monde de gomme, a notamment vu baisser ses importations de 36% sur les dix premiers mois de l’année, selon N’Kalo. Une baisse largement due au conflit au Soudan depuis des décennies.
La gomme arabique menacée par la guerre
Au Soudan, les stocks de gomme arabique sont au cœur des combats, les étrangers qui l’achetaient ont été évacués et les prix ont chuté. « C’est une vraie catastrophe pour les producteurs », s’alarme Adam Issa Mohammed, commerçant à El-Obeid, l’un des principaux marchés de gomme arabique, au sud de Khartoum, rapportait le journal Le Monde.
La majorité des combats se concentrent à Khartoum, où le gros de la production est généralement centralisée avant d’être exportée, et au Darfour (ouest), où est produite une partie de la gomme. « Comme il n’y a plus aucun acheteur, la tonne est passée de 320 000 à 119 000 livres soudanaises », soit de 641, 98 USD à 221, 37 USD, rapporte à l’AFP, Ahmed Mohammed Hussein, un producteur. A Khartoum, de nombreux camions ont été détruits dans les tirs croisés et des routiers ont été tués, rapportent des habitants. Et les conducteurs téméraires font face à un autre obstacle : dans les stations essence qui ne sont pas à sec, le prix du litre a été multiplié par 20, rapporte Le Monde.
Depuis l’éclatement du conflit, le Soudan a toutefois réussi à remettre en place un circuit logistique et des systèmes de financement adaptés pour que les flux commerciaux ne soient pas interrompus. « Exportateurs et grossistes ont réimplanté leurs activités hors de Khartoum et d’Omdurman », explique un expert du service agricole N’Kalo.
Incontournable pour certaines multinationales
Les Américains sont connus comme de gros clients de la gomme transformée à travers notamment le géant des boissons Coca Cola. Soupçonné de soutenir le terrorisme dans le cadre de l’affaire Ben Laden, les Etats-Unis ont imposé un embargo au Soudan à partir de 1997. Mais en 2015, Washington a exclu la gomme arabique des sanctions. Cette année-là, selon le média suisse Bilan,
55 000 tonnes de cette résine inodore ont ainsi pris discrètement […] le chemin des Etats-Unis.
Une compagnie comme ISC Gums est aujourd’hui très active dans la sous-région pour l’achat de la gomme brute.
Des entreprises comme Pepsi et Coke ne peuvent exister sans avoir de la gomme arabique dans leurs formulations,
a déclaré à Reuters Dani Haddad d’Agrigum, un important fournisseur mondial de gomme transformée.
Les experts expliquent que c’est grâce à l’exsudat de sève d’acacia que le sucre ne descend pas au fond des bouteilles de ces sodas.
Une croissance moyenne annuelle de 10%
Tiré par cette demande toujours plus croissante à destination de différentes industries, le marché de la gomme arabique brute est passé d’une moyenne de 95,4 millions de dollars sur la période 1992-1994 à 150,3 millions de dollars entre 2014 et 2016, d’après la CNUCED. La gomme arabique transformée, quant à elle, engrange de plus importants revenus, passés de 74,4 millions de dollars à 192 millions de dollars sur la même période. Le dernier rapport de Market Research Future prévoit que le marché atteindra 2 milliards de dollars d’ici 2030, à raison d’une croissance moyenne annuelle de 10%.
Comme de nombreux autres importateurs, nos sociétés membres conservent dans leurs entrepôts des stocks suffisants de gomme arabique importée du Soudan et d’autres pays, afin que les éventuelles interruptions d’approvisionnement – quelle qu’en soit la raison – puissent être absorbées,
indique l’Association pour la promotion internationale des gommes (AIPG).
Le Tchad et le Nigeria contribuent également de manière significative à la continuité de l’approvisionnement du marché,
ajoute l’association.
Le Tchad, la nouvelle coqueluche des importateurs étrangers
Aujourd’hui, le Tchad est considéré comme deuxième fournisseur de gomme arabique après le Soudan.
La demande des importateurs est plus forte au Tchad depuis le déclenchement de la guerre chez les Soudanais. Ces demandes émanent des Français, des Allemands, des Américains, des Japonais ou encore des Indiens qui achètent aussi beaucoup de gomme brute…,
explique à LTA, Abechir Ahmat, président de l’Association des exportateurs de gomme arabique du Tchad.
“Toutes les entreprises demandent plus : Nexira, Alland & Robert, ISC Gums… », ajoute-t-il, soulignant que les commandes sont également intensifiées au Mali et au Niger. Et ce, avec une hausse importante des prix. Alors que la tonne était vendue à environ 1 800 dollars en 2022, elle atteindrait les 3 000 dollars en 2024.
La gomme arabique pour lutter contre l’émigration et le changement climatique au Mali
A l’occasion du salon de l’agriculture qui s’est déroulé en février 2020 à Paris, le gouvernement malien a invité la diaspora malienne à revenir au pays pour investir dans la filière de la gomme arabique.
Le Mali fait des efforts depuis quelques années pour promouvoir la filière de la gomme arabique avec l’objectif de réduire la pauvreté dans les zones de promotion qui sont généralement des zones semi-arides et arides avec un faible potentiel agricole,
indiquait Dr Nango Dembélé, ancien chargé de recherche au Michigan State University, sur les politiques agricoles et alimentaires en Afrique de l’Ouest et ancien ministre de l’Agriculture du Mali.
En outre, le gouvernement malien pense que cette filière a le mérite de pouvoir trouver une occupation aux populations du nord du Mali où se recrute une bonne partie des candidats à l’émigration.
La gomme arabique va permettre aux populations du nord de se remettre à l’agriculture, de créer de la richesse et de renforcer la balance commerciale de notre pays,
soutient Moulaye Ahmed Boubacar, le ministre de l’Agriculture du Mali.
Interrogé par SciDev.Net, ce dernier ajoute que « la culture de cet arbre recherché dans plusieurs industries offrira aussi une alternative à l’émigration ». Pour sa part, Djibril Sidibé, chargé du dossier « gomme arabique » au ministère malien du Commerce voit dans l’arbre qui la produit, un important rempart contre le changement climatique.
L’acacia permet de lutter contre la désertification en maintenant les sols. Ses feuilles rendent les sols plus azotés et les cultures intercalaires comme le haricot ou le petit mil ne génèrent pas de compétition nutritionnelle avec cet arbre,
dit-il, avant de conclure que « c’est le meilleur arbre pour séquestrer le carbone ».
100 000 hectares mis à la disposition de la diaspora malienne par le gouvernement
La production malienne, bien qu’ayant plus que quadruplé depuis 2013, ne représente que 13% de parts de marché, avec 9000 tonnes exportées en 2019. Pendant ce temps, 30% de la demande mondiale n’est pas satisfaite faute de matière première. Au Mali, les autorités locales ont mis sur pied des mesures attractives pour les jeunes afin d’investir dans ce domaine.
A savoir la loi d’orientation agricole, dont 15 % du budget national est alloué à l’agriculture. Ce, sans compter les mesures spécifiques comme l’accompagnement à l’export, l’octroi de terres, la construction d’entrepôts en zones gommifères et la création de fonds de garantie.
Le gouvernement crée les conditions pour encourager les Maliens de la diaspora à revenir investir dans les filières agricoles très prometteuses comme la gomme arabique. Actuellement, nous mettons plus de 100 000 hectares à la disposition de la diaspora,
a martelé Moulaye Ahmed Boubacar.
Pour le ministre de l’Agriculture, il est par ailleurs important de former davantage de chercheurs qui vont permettre d’approfondir les connaissances sur cette filière qui n’a pas encore révélé toutes ses vertus.
Une culture durable des acacias et de bonnes pratiques de récolte de la gomme seront essentielles pour garantir un approvisionnement fiable et à long terme en gomme arabique, contribuant ainsi à l’extension du marché de ce produit au Sahel.