Dans la nuit du 05 au 06 mars 2023, un violent incendie se déclare sur les installations de la Brasserie Mocaf, une société agroalimentaire spécialisée dans la fabrication de boissons, propriété du groupe français Castel présent dans 21 pays africains. Le 07 mars, la direction de Mocaf dénonce par voie de communiqué un « acte criminel et prémédité », qui a causé d’importants dégâts économiques et matériels dans son dépôt d’emballage.
L’objectif de cet « acte crapuleux », d’après les responsables de l’entreprise, serait de faire stopper ses activités. Le Français n’y est pas allé par quatre chemins pour accuser le groupe paramilitaire russe Wagner d’être derrière cette « attaque ». 35 objets incendiaires au total auraient été lancés dans la zone de stockage, faisant fondre un grand nombre de casiers et contraignant la société à jeter une importante quantité de bière, avait rapporté Radio France Internationale (RFI).
Cet incendie avait été précédé par une vaste campagne de diabolisation des produits Mocaf via des tracts anonymes véhiculant les slogans « Castel c’est la mort », « à chaque achat de Castel, tu finances la guerre et tu te tues », attribuée aux Russes.
Quelques mois avant, la justice française avait annoncé l’ouverture d’une enquête sur les activités du groupe Castel, régulièrement accusé par des ONG et des responsables politiques du pays « manipulés par les Russes », de financer des groupes armés en République centrafricaine. De leur côté, les Russes ont nié toute implication dans cet « incendie criminel », tandis que plusieurs médias qui leur sont acquis rétorquaient que cet autodafé était le fait de mercenaires à la solde de la France.
Ces accusations réciproques traduisent en effet les luttes d’influence entre la Russie et la France en terre centrafricaine. Ce jeu de puissances qui ne dit pas son nom tourne progressivement en défaveur de l’ancienne puissance colonisatrice, depuis l’élection de Faustin Archange Touadera à la tête de la Centrafrique en 2016 avec désormais pour principal terrain d’expression l’économie.
Bangui en veut à Paris d’apporter sa caution à l’embargo imposé à la Centrafrique sur les armes, mesures qui empêche l’armement des forces armées centrafricaines pour lutter contre les groupes armés rebelles qui pullulent sur le territoire et rendent impossible tout retour à la paix dans ce pays.
Depuis son arrivée, Faustin Archange Touadera a progressivement tourné le dos à la France au profit de la milice Wagner, qui assure sa sécurité. Ses nouveaux amis et lui ont mis en place un modèle de coopération permissif, grâce auquel le groupe paramilitaire russe tend à faire main basse sur tous les secteurs de l’économie en Centrafrique, au-delà de ses activités militaires.
Depuis février 2023, Wagner qui tenait déjà une distillerie de vodka à Bangui commercialise sur le marché centrafricain la marque de bière « Africa Ti l’or », devenue un sérieux concurrent à la Brasserie Mocaf qui avait fonctionné jusque-là en situation monopolistique.
Lors d’une conférence de presse à Bangui, le 31 mai, Marcel Mokwapi, président de l’Observatoire centrafricain de la consommation dénonçait une campagne d’intox sur les réseaux sociaux « mettant à mal l’image de la Brasserie Mocaf » sur fond de concurrence déloyale, « alors que la Brasserie Mocaf plaide pour une concurrence saine ».
Des scènes de casse des bouteilles de la bière Mocaf en public, en passant par des incitations à la violence et l’incendie du 05 mars dernier d’une partie de l’usine par des criminels, portent à croire que des personnes malintentionnées tentent de saboter les installations de la brasserie Mocaf. Cela a un impact sur environ 300 personnels qui occupent des emplois stables dans cette industrie,
indique-t-il, dans des propos rapportés par le site d’information centrafricain Oubangui Médias. Il ne met pas clairement Wagner en cause, mais le timing de ces manœuvres en dit long sur les véritables auteurs. Les Français semblent subir cette pression sans réagir. Mais, la tension est palpable.
Un nouvel ambassadeur de France en République centrafricaine a été désigné le 07 juillet dernier par le président Emmanuel Macron. Début août, Bruno Foucher qui est un diplomate expérimenté a été reçu à Bangui par le président Faustin Archange Touadera, qui, dans une interview accordée à la chaîne de TV5 Monde et à l’Agence France Presse (AFP), le 09 août, a déclaré que son pays « n’est pas contre la France ».
Aujourd’hui, nous menons une diplomatie pour permettre à notre pays de bénéficier de (tous) types de coopérations possibles,
a-t-il souligné. A noter que malgré ses déboires en République centrafricaine et même s’il perd des parts de marché dans ce pays, le groupe Castel n’a jusque-là fait part, aucun moment, d’une quelconque volonté de quitter la RCA ou même de se délester de certains pans de ses activités comme cela se voit dans plusieurs pays africains. En clair, bien qu’acculé par Wagner, Castel compte rester en RCA. Et l’Etat français semble faire feu de tout bois pour y protéger ses intérêts.
Dans une interview accordée en juin dernier au journal français Le Point, l’ancien Premier ministre centrafricain Martin Ziguele indiquait que depuis leur arrivée dans ce pays il y a 5 ans, les paramilitaires russes « sont dans les mines, bien sûr, les diamants, le bois, ils contrôlent les douanes… on les retrouve dans les boissons, en fait dans tous les secteurs. Nous avons également l’impression qu’ils font tout en accéléré, en tout cas, ils ne font rien dans la pondération, car toutes ces opérations n’ont aucune valeur légale, tout se fait dans la plus grande illégalité ».