Depuis au moins 2018, le Cameroun était engagé dans le test de nouvelles variétés de blé pouvant pousser dans le pays à cultiver à grande échelle pour réduire sa dépendance aux importations en la matière, qui lui coûtent en moyenne 229 millions d’euros, soit environ 151 milliards Fcfa chaque année, compte non pris des produits finis qui rentrent dans la longue chaîne de valeur blé. La survenue du Covid-19, en 2020, et les perturbations qu’elle a causées dans les circuits d’approvisionnement internationaux du fait de la fermeture des frontières, additionnées à la crise russo-ukrainienne qui a entraîné l’envolée des cours du blé, ont l’avantage d’avoir donné un coup de fouet à ces recherches.
Jusque-là, en effet, l’Institut de recherche agricole pour le développement (Irad), le bras séculier de l’Etat du Cameroun en matière de recherche agronomique, en charge de mener les expérimentations nécessaires avant la relance de la culture proprement dite, s’est régulièrement plaint de ne pas recevoir suffisamment de moyens financiers.
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Sous la pression de la conjoncture marquée par une inflation record entretenue principalement par les produits alimentaires, le 05 juillet 2022, le président camerounais, Paul Biya, a instruit le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, de débloquer au profit de cet institution, une subvention d’un montant de 10,3 milliards Fcfa (environ 16,3 millions de dollars US) sur cinq ans, dédiée au développement de la production et de la transformation du blé au Cameroun.
Le premier décaissement dans le cadre de cette subvention, qui a immédiatement suivi l’instruction présidentielle, a permis à l’Irad d’acquérir du matériel végétal et de mettre en place et développer sur les ruines de la défunte Société de développement du blé (Sodeblé), trois premiers champs semenciers dans les localités de Wakwa, Mbang-Mboum et Wassande, dans la région de l’Adamaoua. Et grâce aux investissements consentis, 180 tonnes de semences de blé ont été récoltées fin 2022 et début 2023.
Recherche et développement
Grâce à ces semences, plus de 16000 hectares de superficies pourraient être développées, prioritairement dans les régions de l’Adamaoua et du Nord-Ouest, conformément à la volonté de la présidence de la République. Car, en dehors de celles-ci, trois autres régions prises comme zones agro-écologiques à travers le pays sont propices pour la culture de 22 variétés de blé ayant fait l’objet de recherches approfondies à l’Irad, à l’instar de l’Ouest, dans les localités de Bansoa, Bangoua ou encore Bangourain. Il faut dire que seules quatre de ces variétés ont été transmises au ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader). La recherche développement ayant conclu à l’adaptabilité et la fertilité de ses terres pour cette céréale, le Cameroun va-t-il enfin se jeter dans le bain d’ici un mois ? Selon le chef du Centre de recherche Irad de Wakwa, Dr Oumarou Palou, cité par la télévision publique Crtv, le mois de juillet est indiqué pour les semis de blé, l’idéal étant que « la maturité des graines coïncide avec la fraîcheur du climat qui s’étend d’octobre à février dans l’Adamaoua ».
Contraintes liées aux intrants
La quantité de semences disponible actuellement est largement suffisante. Selon l’Irad, pour une relance durable, 160 tonnes et une importante quantité de fertilisants sont nécessaires pour développer la culture du blé sur 16.000 hectares et couvrir la demande domestique, chiffrée à 800.000 tonnes par an. L’une des principales contraintes au développement de cette filière au Cameroun a trait aux intrants, notamment les engrais. Le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Gabriel Mbaïrobé, estime jusqu’à 400 le nombre de kilogrammes de fertilisants à apporter par hectare de blé. Or, depuis 2022, contexte international oblige, les prix des engrais ont presque triplé dans le pays.
Et, malgré la subvention de 14 milliards Fcfa mise à disposition par le gouvernement pour soutenir les prix, ceux-ci restent inchangés en 2023. D’où la nécessité, souligne l’Irad, de « développer des initiatives d’investissements qui vont permettre à notre pays de gagner en autonomie d’intrants locaux pour ravitailler les industries camerounaises ». Dans ces conditions, le gouvernement pourrait se limiter à viser ses objectifs minimalistes de produire 300.000 tonnes de blé grain et 200.000 tonnes de farines de substitution à moyen terme. A défaut, il devra mettre à contribution le secteur privé et ses partenaires financiers bilatéraux et multilatéraux, au regard de l’importance des investissements à consentir.
A noter que la Banque africaine de développement (BAD) est déjà engagée sur cette voie. Pour l’année 2023, elle a annoncé le déblocage au profit du ministère de l’Agriculture, d’un financement de 23 milliards Fcfa, soit environ 37,4 millions de dollars US, destinés au développement des filières prioritaires, au rang desquelles la culture du blé.
Par Ailleurs, la Caisse nationale de prévoyance sociale, l’organisme public en charge de la sécurité sociale dans le pays, a dit attendre l’autorisation du président de la République pour affecter une partie de sa trésorerie oisive (325 milliards Fcfa, soit à peu près 529 millions de dollars en cash, hormis les dividendes liés par ses divers placements) au financement d’un grand projet de culture et même de transformation du blé.
Pour mémoire, le Cameroun occupe le dernier rang des 32 pays producteurs de blé en Afrique, avec une production d’à peine 437 tonnes en 2020, contre 1 25000 tonnes en 1989 au moment de la fermeture de la Société de développement du blé (Sodeblé), un fleuron de l’agro-industrie créé en 1975 par l’ancien président camerounais Ahmadou Ahidjo, pour cultiver cette céréale et transformer les farines destinées à la consommation domestique. La réouverture de cette entreprise tient à cœur les autorités du Cameroun, qui font du blé un produit phare de sa politique d’import-substitution mise en œuvre depuis deux ans.