Il porte bien son nom de « produit d’exportation ». Mais, le cacao est la preuve palpable d’un véritable paradoxe : celui du producteur qui tire peu profit de ce qu’il produit lui-même. Selon les données de l’Organisation internationale du cacao (ICCO), sur les 100 milliards de dollars générés par l’industrie chocolatière à travers le monde, les pays producteurs ne gagnent que 6% de cette somme, tandis que les paysans, producteurs directs de fèves, ne bénéficient que de 2% de cette culture.
En effet, avec 3,6 millions de tonnes, l’Afrique est largement en tête de la production mondiale de fèves de cacao, qui s’est élevée à environ 4,9 Mt. pour la campagne 2021/22. Premier producteur mondial de cacao, avec 2,2 millions de tonnes de fèves (42% de la production mondiale), la Côte d’Ivoire devance de loin ses concurrents. Le Ghana vient en deuxième position (689 000 t.).
Derrière, arrivent l’Équateur (374 000 t.), le Cameroun (290 000 t.) puis le Nigeria (280 000 t.), selon les données de l’Icco. Les autres pays de l’Afrique cacaoyère, notamment d’Afrique centrale, passent inaperçus dans les statistiques mondiales. L’Afrique produit donc 71% du cacao consommé dans le monde, mais n’en transforme que 4%.
Cette révélation de Jean Marc Anga directeur exécutif de l’Organisation internationale du cacao (Icco) dépeint le contraste observé dans l’industrie du cacao. Car, aucun pays africain ne figure parmi les leaders de la production mondiale de chocolat que sont les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse et la Belgique.
Et, les 10 plus grands fabricants de produits à base de cacao et de chocolat de qualité étant notamment, Arcor Group (Argentine) ; Barry Callebaut AG (Suisse) ; Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG (Suisse) ; Chocolaterie Guylian NV (Belgique) ; Ferrero International SA (Italie) ; Mars Inc. (États-Unis) ; Meiji Holdings Co. Ltd. (Japon) ; Mondelez International Inc. (États-Unis) ; Nestlé Group (Suisse), The Hershey Co. (États-Unis).
Une niche d’opportunités
La transformation du cacao représente une réelle opportunité pour des pays africains comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun et le Nigéria qui figurent parmi les leaders en termes de production de fèves au niveau mondial. Car, d’après l’ICCO, ces pays fournissent à eux seuls 70 % de la production mondiale de cacao, mais ne perçoivent que 3% de revenus issus de la commercialisation de ce produit.
Avec ses 2 millions sur 4,7 millions de tonnes à l‘échelle mondiale, selon l’ICCO, la Côte d’Ivoire n’a gagné qu’environ 3,350 milliards de dollars, lors de la campagne cacaoyère 2016-2017 sur le commerce des fèves. Alors que les compagnies chocolatières américaines généraient des ventes de l’ordre de 22 milliards de dollars la même année. Même traitement pour le Ghana avec une production de 882 175 tonnes et le Cameroun avec 380 000 tonnes.
En développant la transformation du cacao, l’Afrique se protège de la volatilité des cours mondiaux. A cause de ce délaissement de la transformation, le vaste bassin de production de cacao qu’est l’Afrique « se met à la merci de la volatilité des cours sur le marché mondial », soulignait M. Anga, en prenant l’exemple de la Malaisie qui, selon lui, « a fait le choix stratégique de s’orienter vers la transformation », porteuse de plus-value. En effet, a révélé le directeur exécutif de l’ICCO, en 1960, la Malaisie produisait environ 300 000 tonnes de cacao et ne transformait que 25 000 tonnes de fèves. Mais au cours de la campagne 2012-2013, le pays a produit seulement 7000 tonnes de cacao et transformé 300 000 tonnes.
Les pays africains en sont conscients, et souhaitent intégrer ce nouveau maillon dans la chaîne de production. Ces leaders de la filière privilégient plutôt l’exportation de fèves brutes de cacao au détriment de produits à forte valeur ajoutée. A titre illustratif, la Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao avec 1.350.000 tonnes (37,5% de la production mondiale) n’a transformé que 29% de sa production dans la fourchette 2012-2013.
En dépit de ce faible pourcentage, le produit fait partie des mamelles économiques de ce pays, car il représente 14% du PIB et 16,3% des recettes fiscales, sans compter les 800.000 planteurs locaux qui s’activent dans la filière. En misant davantage sur la transformation, le pays pourrait améliorer ces chiffres.
Le gouvernement en est d’ailleurs conscient, en lançant en 2012, un programme de réforme du secteur qui prévoyait notamment la transformation de 50% de fèves brutes à l’horizon 2020, l’amélioration des revenus des paysans, et la mise sur pied d’un conseil organique chargé de la gestion de la filière.
Au Ghana, le scénario est quasi-identique. Chez le 2e producteur mondial, le commerce du cacao rapporte plus de 3,5 milliards de dollars dont 76% proviennent de l’exportation des produits bruts. Le cacao est le deuxième pourvoyeur de devises après l’or, et un des poumons de l’économie avec une contribution au PIB qui est passée de 2,5% en 2008 à 3,6% en 2011.
Mieux encore, la production a connu une hausse exponentielle en passant de 340.000 tonnes entre 2001 et 2002 à 1 million de tonnes en 2011. A l’instar de son voisin ivoirien, Accra traîne aussi les pieds dans la diversification de sa production avec seulement 25,7% la part des exportations de cacao transformés en 2011. L’Etat ghanéen souhaite renverser cette tendance avec comme objectif la transformation de 40% de la production. Pour ce faire, il prévoit d’effectuer des
remises sur les prix, l’autorisation des importations de machines, le rééchelonnement des remboursements de crédits, l’autorisation d’importation des machines essentielles, et l’application du statut de zones industrielles d’exportation aux entreprises opérant dans la zone,
lit-on dans le Rapport économique sur l’Afrique 2013 publié conjointement par la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et l’Union africaine (UA).
Le paradoxe prend une autre dimension au Nigéria, 4e producteur mondial de cacao. Entre 2006 et 2010, les exportations de fèves brutes ont connu une hausse de 47% pour atteindre la barre des 822,8 millions de dollars. Actuellement, elles représentent 83% de l’ensemble des recettes du secteur estimées à 1 milliard de dollars.
Seules 20% de la production est transformée localement, un facteur très handicapant puisque, en dépit de sa forte production, la première puissance du continent importe d’importantes quantités de chocolat en provenance d’Europe (97%) et des Etats-Unis. Contrairement à la Côte d’Ivoire et au Ghana, le gouvernement nigérian n’a pas défini une véritable politique industrielle pour la filière.
L’absence de programme de formation dans le domaine, les difficultés d’accès aux financements pour les entreprises et les infrastructures défectueuses, constituent aussi des contraintes de taille.
Cette volonté politique est par contre perceptible au Cameroun où l’Etat ambitionnait de transformer 50.000 tonnes à la fin de la campagne 2013-2014, pour dépasser les 25.000 tonnes transformées avant. Le 5e producteur mondial de cacao exporte plus et transforme moins.
D’après l’Office National du café et du cacao, sur les 225.000 tonnes produites, moins de 8% ont été transformées dans l’intervalle 2007-2011, et 13% en 2011. Cette nouvelle orientation devrait permettre au pays de se doter de nouvelles unités de transformation et d’augmenter le pourcentage de la filière dans secteur économique.
En effet, le cacao représente 28% de la valeur totale des exportations non pétrolières, mais contribue seulement à hauteur de 2% au PIB. Elle pourrait également accroître les revenus des 400.000 familles qui s’activent dans la filière.
Cameroun, le grand bond de la transformation
Pour contrer l’arrivée de nouveaux acteurs attirés par les incitations mises en place par Yaoundé, le suisse Barry Callebaut continue d’accroître ses capacités. Barry Callebaut accélère son développement au Cameroun et tient son rang de leader dans la transformation de la fève. En visite dans le pays en mai, son patron, Antoine de Saint-Affrique, a fait part de la volonté du premier chocolatier mondial d’accroître ses capacités.
Son investissement de plus de 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros), en 2015, pour porter les capacités de sa filiale de 33 000 à 55 000 t, tient ses promesses. La Société industrielle camerounaise des cacaos (SIC Cacaos) a broyé 53 000 t lors de la campagne 2017-2018. Elle représente actuellement l’essentiel des capacités de première transformation du pays, estimées par Fitch Solutions à 56 000 t.
À terme, son potentiel sera porté à 70 000 t. Elle est devenue le plus gros acheteur de fèves avec 22,18 % de parts de marché, devançant pour la première fois le négociant Telcar Cocoa, propriété de la femme d’affaires Kate Fotso (19,85 %). Le transformateur historique, qui célébrait à ce moment-là, sept décennies de présence, ne pouvait rester indifférent aux nouveaux projets enregistrés dans la transformation de l’or brun.
Avec notamment, le Camerounais Emmanuel Neossi qui inaugurait son usine de transformation. D’une capacité annuelle de 32 000 t, Neo Industry devait produire 26 000 t de produits dérivés (masse, beurre, tourteaux et poudre de cacao), essentiellement destinés à l’exportation. Son promoteur, qui a mobilisé 20 milliards de FCFA pour construire son unité industrielle à Kekem, dans la région de l’Ouest, espérait amortir le projet dans sept ou huit ans.
Néanmoins, il envisageait déjà une extension dans les cinq ans pour faire passer sa capacité à 64 000 t. Autre nouveau venu sur ce créneau, l’Ivoirien Bernard Koné Dossongui. Parallèlement à la construction d’une usine à San Pedro, le fondateur d’Atlantic Cocoa Corporation (ACC) a inauguré une unité de production dans la zone industrielle du port en eau profonde de Kribi. L’homme d’affaires a investi près de 40 milliards de F CFA afin de pouvoir traiter annuellement 48 000 t de fèves dans un premier temps.
À côté de ces projets d’envergure, la Ferme agropastorale de Ma’an Menyi (Fapam Industry), à Mbalmayo, située à une quarantaine de kilomètres de Yaoundé, entend également être de la partie. Des initiatives, combinées à quelques effets d’annonce, qui augurent d’une montée en puissance du traitement local de la fève. C’est notamment le résultat de la politique incitative du Cameroun, qui souhaite doper une filière représentant une importante source de devises (environ 15 % des recettes d’exportation du pays)
L’objectif fixé par les autorités était de doubler le taux de transformation, en le portant à 40 % de sa production en 2020. L’objectif sera dépassé si toutes les usines tournent à plein régime. Le pays récolte à peine 250 000 t de cacao chaque année et a remisé son ambition d’atteindre, grâce à ses 600 000 cacaoculteurs, les 600 000 t à l’horizon 2020, en dépit d’une origine camerounaise dont la couleur rouge brique reste prisée des chocolatiers.
En cause, notamment, la difficulté des producteurs à obtenir des plants de cacaoyer pour renouveler et étendre leur verger. Désormais, le Cameroun vise la barre peut-être plus accessible des 330 000 t à l’horizon 2023.
Du côté des transformateurs, en revanche, on a profité à plein des incitations financières offertes par les pouvoirs publics, par exemple en matière d’exonérations fiscalo-douanières (inscrites dans la loi de 2013) pour l’importation des équipements. Neo Industry et trois modestes transformateurs locaux ont bénéficié d’une subvention globale de plus de 17 milliards de F CFA.
Le taux de la redevance perçue sur les fèves entrant dans les unités de transformation locale encourage aussi les investissements. Il a été réduit de 80 %, passant de 75 à 15 F CFA le kilogramme, tout comme a été diminuée de moitié par l’État, la redevance sur la fève transformée (75 F CFA par kg). Pour l’heure, les industriels comme les négociants ne se montrent pas inquiets, quant à leur capacité à approvisionner leurs usines pour les prochaines années. Ils veulent néanmoins se prémunir contre une éventuelle pénurie du fait de la concurrence. ACC a par exemple décidé d’investir directement dans la production, à travers 25 000 ha de plantations dans le Centre du pays.
Beurre de cacao, des avantages économiques certains
Le meilleur est dans le beurre de cacao. Cette substance extraite des fèves du cacao donne lieu à une plus-value considérable comparativement au cacao vendu en fèves. 10 000 Fcfa, c’est le prix du litre de beurre de cacao vendu à l’informel.
Pour obtenir le litre de ce précieux produit, il faut disposer de 5kg de fèves, de bonnes fèves. Si l’on considère que 5 kg de cacao ne peuvent guère être vendus à plus de 2500 Fcfa, transformée de manière artisanale sans gros efforts, la même quantité de cacao peut rapporter en beurre plus de quatre fois le prix de la fève.
Il se trouve que le beurre de cacao est très recherché par les connaisseurs. Les personnes qui goûtent à ce produit ne s’en passent généralement plus. D’où la fidélité de la clientèle. Ceux qui en produisent le témoignent.
L’Europe, 1er transformateur mondial de fèves de cacao
Les fèves de cacao sont transformées dans le monde entier en pâte de cacao, beurre de cacao, poudre de cacao, chocolat, ou autres produits à base de cacao. Environ un tiers de la récolte annuelle est moulue en Europe. Rien qu’aux Pays-Bas, 628 000 tonnes de fèves – soit 12 % de la récolte mondiale – sont moulues.
La Suisse transforme environ 53 000 tonnes de cacao, ce qui correspond à 1% de la production mondiale de cacao. Avec une consommation par habitant de 11,6 kg en 2021, la Suisse est en tête des statistiques internationales. En moyenne, une personne en Suisse consomme environ dix fois plus de chocolat par an qu’une personne en Inde. La Suisse importe des fèves de cacao principalement du Ghana et de l’Équateur.
En 2021, environ 140 000 tonnes de cacao et de produits à base de cacao ont été importés, en majorité sous forme de fèves de cacao et de beurre de cacao. Cela correspond à une importation d’environ 120 000 tonnes d’équivalents-fèves de cacao. Seule une petite partie est importée sous forme de produits semi-finis ou finis. Les exportations d’équivalents-fèves se font principalement sous forme de chocolat non fourré et de pâte de cacao non dégraissée.
L’expression « équivalents-fèves de cacao », explique-t-on, désigne la somme de tous les produits cacaotés importés (c’est-à-dire beurre de cacao, poudre de cacao, etc.) convertis en fèves de cacao par les facteurs de conversion fixés par l’ICCO.
Les facteurs de conversion utilisés pour déterminer l’équivalent en fèves des produits de cacao sont les suivants : beurre de cacao 1,33, pâte/liqueur de cacao 1,25, poudre de cacao et gâteau au cacao 1,18, chocolat et produits de chocolat 0,40, produits de chocolat identifiés comme ne contenant que la moitié de la quantité normale de cacao 0,20. (Source : ICCO, QBCS, Vol. XLVIII No. 1).
Les fèves de cacao sont en effet transformées dans le monde entier en pâte de cacao, beurre de cacao ou cacao de poudre. Près de 40% de la récolte annuelle est réduite en poudre en Europe. A eux seuls, les Pays-Bas réduisent en poudre 535 000 tonnes ou 13% des fèves.
En Suisse, le volume est de près de 40 000 tonnes, ce qui correspond à un petit peu moins d’1% de la production mondiale. Il apparait ainsi que sur 100% de la production mondiale en cacao, l’Afrique ne transforme que 39%, ainsi sur les 75% de la production mondiale de cacao dérivant de l’Afrique, 36% sont transformées hors de l’Afrique.
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