Le constat est clair. 70 ans après les indépendances, l’approvisionnement annuel en produits pharmaceutiques de la plupart des pays africains est fortement dépendant des importations. D’après les estimations de Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), le continent noir importe environ 94% de ses besoins en médicaments et autres produits médicaux.
Plus grave encore, une note de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de 2018 indique que l’Afrique ne fabrique que 3% des médicaments dont elle a besoin et ne bénéficie que de 1,3% des ressources brassées par le marché mondial du médicament estimé par l’Union nationale des opérateurs de la pharmacie (UNOP) en Algérie, à 1400 milliards de dollars américains.
En outre, des études récentes ont démontré que seulement 60 % des médicaments essentiels sont fournis par les systèmes de santé publique du continent.
À l’exception du Maroc et de l’Afrique du Sud, les fabricants nationaux des pays africains de médicaments ne fournissent qu’un quart des produits pharmaceutiques consommés par les populations de ces pays. Faisant ainsi de l’Union européenne, le principal fournisseur de l’Afrique suivie de l’Inde et de la Chine.
Les pays de l’Union européenne, en particulier l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, fournissent 51,5 % des produits pharmaceutiques importés, la Suisse 7,7 %, les pays asiatiques, principalement la Chine et l’Inde, 25,2 % et les États-Unis d’Amérique 4,3 %,
peut-on lire dans le rapport de la CEA.
L’Afrique souffre donc d’une incapacité à fabriquer et à fournir les médicaments dont elle a besoin. Mise en évidence avec la pandémie de la Covid-19, cette incapacité contraint alors la plupart des pays de la région à dépendre des importations créant ainsi un déficit commercial qui s’accroit toujours d’après la note d’orientation de la CEA atteignant 18,6 milliards de dollars en 2018 contre 4 milliards en 1998 et est prévu pour atteindre 27,8 milliards de dollars en 2024, d’après, A. Kerrar, le président de l’UNOP.
L’accès aux médicaments en Afrique selon un ensemble de statistiques convergentes est d’autant plus tributaire des importations étrangères que le continent ne compte qu’environ 375 producteurs de médicaments, situés pour la plupart en Afrique du Nord.
Ceux d’Afrique au Sud du Sahara étant en grande partie concentrés dans quelques pays, notamment en Afrique du Sud, au Nigeria, en Ethiopie, au Kenya et au Ghana. Comparativement, des pays tels que la Chine et l’Inde, qui comptent chacun environ 1,4 milliard d’habitants en moyenne abritaient respectivement 5000 et 10 500 producteurs de médicaments à la fin 2017.
Ce, en dépit de quelques hirondelles qui ne font pas le printemps à savoir, l’Afrique du Sud, le Maroc, le Kenya, le Ghana et l’Egypte. Entre 2016 et 2018 indique la CEA, ces pays ont vendu pour plus de 500 millions dollars de produits pharmaceutiques.
Un commerce, souligne la note de la CEA, principalement intra-africain puisque près de 42% des exportations sont à destination d’autres pays du continent.
L’Afrique du Sud et le Maroc réussissent à couvrir 70 à 80 % de leurs besoins pharmaceutiques tandis que, dans certains pays d’Afrique centrale, 99 % des médicaments sont importés,
indique par ailleurs le rapport 2017 de Proparco, une filiale de l’AFD dédiée au secteur privé et qui intervient en faveur du développement durable.
Toutefois, même ces pays dits autosuffisants dépendent souvent de l’extérieur, en ce qui concerne l’approvisionnement en matières premières. De plus, les produits pharmaceutiques importés sont plus compétitifs que ceux produits sur le continent, ajoute le rapport de Proparco. Cette contrainte encourage aussi le développement de l’industrie des faux médicaments sur les marchés locaux.
Ceux qui n’ont pas les moyens se tournent vers le marché parallèle pour acheter un médicament non contrôlé, qui est au mieux inefficace, au pire dangereux. Ce marché du médicament contrefait représente près de 60 % des médicaments consommés en Afrique,
avait expliqué dans les colonnes du journal « Le Point », Mehdi Sellami, Directeur scientifique de Galpharma, un laboratoire de production de génériques en Tunisie.
L’Afrique subsaharienne en tête de classement
L’Afrique, faute de pouvoir s’approvisionner localement en médicaments de qualité et en quantité n’a donc plus qu’à recourir aux importations tout en subissant le diktat des grandes firmes pharmaceutiques étrangères. Et dans ce triste tableau d’importations, c’est encore l’Afrique subsaharienne qui tient le peloton de tête.
Les six premiers pays importateurs venant de cette région avec en tête le Sénégal et ses près de 90 millions de dollars d’importations en moyenne entre 2016 et 2018, d’après les données du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) et de la Base pour l’analyse du commerce international (BACI), utilisées dans le rapport de la CEA.
Pourtant, avec un marché estimé à pas moins de 1,3 milliard de potentiels consommateurs (2,5 milliards à en croire les Nations unies en 2050), il existe d’énormes avantages à investir dans la production locale. Ainsi que dans la commercialisation intra-africaine des médicaments facilitée par la mise en œuvre effective de la Zone de libre-échange continentale africaine qui sonne le glas des barrières douanières.
Ceci, dans un contexte où les dépenses de santé représentent parfois, selon la Banque mondiale jusqu’à 60% des revenus des populations du continent. L’Afrique abritant par ailleurs, d’après l’OMS, 25% des maladies, toutes pathologies confondues.
Quelques pistes de solutions
Afin de booster la production de médicaments en Afrique, la CEA, en collaboration avec la Fédération des associations africaines de fabricants de produits pharmaceutiques a identifié plusieurs domaines d’actions. Ayant fait leurs preuves dans des pays tels que l’Inde et la Chine, ces actions consistent en une prise de décisions aux niveaux national, sous régional et continental.
Elles comprennent entre autres : L’adoption de règlements qui mettent sur un pied d’égalité les produits finis et les principes pharmaceutiques actifs ; l’adoption d’une législation nationale et régionale solide sur les prescriptions relatives à la teneur en éléments d’origine locale ; la formulation d’incitations pour encourager les investissements étrangers directs dans la production pharmaceutique africaine ; l’établissement de partenariats entre les gouvernements africains et les mécanismes de financement internationaux, notamment les fonds d’investissement pour la santé en Afrique et le Fonds pour la santé en Afrique de la Société financière internationale, etc..
Toujours d’après la CEA, des mécanismes de mise en commun de la production et d’assistance transfrontalière pourraient également améliorer la réponse de l’Afrique. A cet égard, les données recueillies dans certains pays africains indiquent également que la production nationale peut améliorer l’accès aux médicaments et faire baisser leurs coûts.
En Éthiopie, par exemple, une majoration de 20 % sur un médicament (généralement due aux frais de transport, aux droits d’importations et à la taxe sur la valeur ajoutée) peut être évitée si le même médicament est fabriqué dans le pays.